C'est devenu un classique de campagne. Un homme ou une femme politique s'apprête à donner un meeting, son équipe choisit de le ou la faire entrer sur scène sur un morceau à la mode, ou du moins entraînant, sauf que l'artiste n'est pas prévenu et n'a jamais donné son accord pour que son travail soit utilisé dans un tel cadre. S'ensuivent généralement interpellation sur Twitter (ou tout autre réseau social), courrier d'avocat et, parfois, passage par la case tribunal. Lundi, c'est le rappeur américain Everlast qui a peu goûté l'utilisation par Donald Trump de son morceau Jump around, et l'a donc fait savoir sur Twitter.
«Hey, Donald Trump, arrêtez d'utiliser ma chanson Jump Around dans vos meetings espèce de merde. Cessez [...] sale ordure»
«Hey Donald Trump je vais défoncer tes sales cheveux dégoutants de connard espèce de merde» [il fait précisemment référence au fait que les cheveux de Donald Trump sont peignés de sorte que sa calvitie soit cachée («combover») mais c'est intraduisible] Voir ici l'intégralité de ses tweets
Et le favori des Républicains ne peut pas vraiment faire comme s'il ne savait pas : avant Everlast, la chanteuse Adele lui a déjà interdit, il y a deux mois, d'utiliser ses morceaux, tout comme Neil Young au mois de juin. Le milliardaire américain avait alors annoncé sa candidature à la présidentielle sur le morceau Rockin' in the Free World, alors que le chanteur, qui soutient le candidat démocrate Bernie Sanders, n'avait pas donné son autorisation.
Trump n'est cependant pas le premier politique à passer outre les droits d'auteur (et à se faire taper sur les doigts par les artistes). Revue de détail en dix exemples.
1984. Ronald Reagan et «Born in the USA»
En 1984, Ronald Reagan avait adopté la chanson Born in the USA comme musique de campagne. Un choix étrange, puisque cette chanson de Bruce Springsteen est antimilitariste et dénonce l'engagement des Etats-Unis au Vietnam. Un texte que Reagan et son équipe n'ont manifestement pas compris : «I had a buddy at Khe Sahn/Fighting off the Viet Cong/They're still there, he's all gone» («J'avais un pote à Khe Sahn/Combattant le Viet Cong/Ils sont encore là-bas, lui a disparu»). La popularité de Springsteen aura peut-être porté chance au républicain, qui fut réélu avec une belle majorité.
2002. Jacques Chirac et «One more time»
L'ancien président de la République devait être submergé par la joie d'être réélu, en 2002, quand il décida de passer le One more time des Daft Punk lors de son meeting de victoire (bon, ce n'est probablement pas Chirac en personne qui l'a choisi, mais passons). Le duo de robots n'a pas partagé la bonne humeur de l'homme politique, et lui a interdit de diffuser son hit.
2005. Angela Merkel et «Angie»
«With no loving in our souls, and no money in our coats/You can't say we're satisfied…/All the dreams we held so close seemed to all go up in smoke/Ain't it time we said goodbye?» («Sans amour dans nos âmes, et sans argent dans nos manteaux/Tu ne peux pas dire que nous soyons satisfaits…/Tous les rêves que nous tenions si près semblent avoir disparu en fumée/Ne serait-ce pas temps de se dire au revoir?»).
Vous reconnaîtrez ici les paroles de Angie, chanson de rupture des Rolling Stones. Misant sur l'humour du diminutif, la chancelière allemande, Angela Merkel, a choisi cette chanson pour animer sa campagne de réelection de 2005. Elle n'avait apparemment pas pris la peine de lire les paroles, ni de prévenir le groupe de son emprunt.
2006. Laurent Fabius et «C’est quand le bonheur ?»
En pleine campagne des primaires socialistes, Laurent Fabius aurait mieux fait de s'occuper de sa playlist que de savoir qui allait garder les enfants. Après que le morceau C'est quand le bonheur ? a été diffusé dans l'un des meetings de Fabius en Seine-Maritime, le chanteur Cali s'est agacé, et a fait savoir dans un communiqué qu'il ne soutenait pas sa candidature. Et comme on est sympas (avec vous), nous non plus on ne va pas la diffuser.
2008. Nicolas Sarkozy et «Kids»
L'UMP a subi à plusieurs reprises les affres du droit d'auteur pour ses chansons de campagne. En 2008, lors de quelques meetings et dans des vidéos sur Internet, des jeunes UMP passent et repassent Kids de MGMT. Jusqu'à ce que le groupe s'en rende compte et envoie ses avocats à l'attaque. Résultat : 30 000 euros pour trois vidéos... et un nouveau trou dans le portefeuille du parti.
2008. John McCain et «Take a chance on me»
Bottes à paillettes et coupe mulet. Pour égayer sa campagne de 2008, John McCain a misé sur le kitsch. Il a choisi Take a chance on me, du groupe suédois Abba, un titre qui collait bien avec sa campagne contre Barack Obama. Avant de très vite la retirer, de peur de créer une crise diplomatique avec la Suède.
2008. Sarah Palin et «Independance Day»
La même année, la co-candidate républicaine Sarah Palin se fait épingler pour avoir utilisé lors de ses meetings une chanson de Gretchen Peters, datant de 1993, Independance Day, rapporte Rolling Stone (qui a compilé 34 chansons utilisées à des fins politiques, à lire en anglais). «Le fait que la campagne McCain/Palin utilise une chanson qui parle des femmes maltraitées comme un cri de ralliement pour leur candidate à la vice présidence, une femme qui interdirait l'avortement même dans des cas de viol ou d'inceste, est au-delà de l'ironie» a commenté la parolière de la chanson, Martina McBride. Et son interprète Gretchen Peters a opté pour une contre-attaque plutôt maline : au lieu d'attaquer en justice, elle a reversé tous les royalties de ce morceau récoltés durant la période de la campagne présidentielle au Planning familial américain, pas franchement raccord avec les idées de Palin.
2012. Le Parti démocrate américain et «True Colors»
Cette fois, c'était dans une publicité et non lors d'un meeting que la chanson-coupable a été utilisée. Debbie Wasserman Schulz, une responsable du parti démocrate américain, s'est attirée les foudres de Cyndi Lauper après avoir utilisé son True Colors dans une publicité attaquant Mitt Romney. «Je n'aurais jamais souhaité que cette chanson soit utilisée pour cela», a alors commenté la chanteuse, ajoutant qu'elle soutenait Barack Obama mais que «M. Romney peut se discréditer tout seul sans avoir besoin d'utiliser mon travail». Et la pub a été retirée de Youtube.
2014. Le Parti national de Nouvelle-Zélande et «Lose Yourself»
C'est Rue89 qui rappelle cette histoire : en 2011, le Parti national de Nouvelle-Zélande a cru bon d'utiliser dans un clip de campagne le morceau Lose Yourself d'Eminem, lequel a porté plainte dans la foulée auprès de la Haute cour de Wellington et demandé des dommages et intérêts. Une affaire d'argent plus qu'une affaire politique, manifestement, puisque même une fois que le clip a été dépublié, l'artiste a demandé un dédommagement, selon Radio Canada.
2015. Donald Trump et «It’s the End of the World as We Know It (And I Feel Fine)»
On en arrive donc à Donald Trump, qui, non content d'avoir siphoné Neil Young et (pas encore) Adele et Everlast, donc, s'est fait taper sur les doigts en septembre dernier par R.E.M, furieux de voir sa chanson It's the End of the Wolrd as We Know It (And I Feel Fine). Le chanteur Mike Stipe l'a clairement indiqué sur Twitter : «Allez vous faire foutre, tous autant que vous êtes - espèce de petits hommes tristes, en recherche d'attention, avides de pouvoirs. N'utilisez pas ma musique ou ma voix» (il s'adresse alors aux partisans de Trump).
"Go fuck yourselves, the lot of you--you sad, attention grabbing, power-hungry little men. Do not use our music or my voice for your 1)
— Mike Mills 🎅🏼🎄❄️☃️ (@m_millsey) September 9, 2015