Sous une bâche de plastique, une poignée de gamins tentent d'échapper à la chaleur étouffante de la saison sèche. Le camp de M'Poko, qui jouxte l'aéroport de Bangui, est un amas de tentes et d'abris de fortune, au milieu des carcasses d'avion. C'est ici, dans des check-points installés autour du camp, que des enfants auraient été abusés par des militaires français. 20 000 personnes continuent de végéter sur le site qui, au plus fort de la crise, en 2014, a abrité jusqu'à 150 000 déplacés. «Les conditions étaient vraiment très difficiles. J'ai pensé qu'il fallait créer une structure pour les enfants les plus vulnérables», dit Alexis Nguitté, le responsable d'un petit «centre de protection de l'enfance», lui-même déplacé par les violences dans le pays.
Cet homme d'une quarantaine d'années aurait été le premier à avoir eu vent des viols présumés et à tirer la sonnette d'alarme. «Des enfants me disent qu'ils ont subi des violences, je n'allais pas me taire, dit-il. J'ai fait ce que j'avais à faire.» En février 2014, l'homme alerte Première urgence-Aide médicale internationale (PU-AMI), l'ONG qui gère le site de M'Poko. Quand le scandale éclate, quinze mois plus tard, les enfants ne sont plus sur le camp de déplacés de l'aéroport. Alexis Nguitté, volubile à l'époque face aux micros de la presse, apparaît désormais un peu mal à l'aise. «Je dois consulter les ONG partenaires avant de m'exprimer sur le sujet», s'excuse-t-il. Il ne reviendra pas sur cette histoire. «Tout ce que j'avais à dire, je l'ai dit aux enquêteurs. Maintenant, je n'ai plus de rôle à jouer dans cette affaire, argumente-t-il. Tout ce que j'espère, c'est que, à l'avenir, des dispositions seront prises pour mettre en place des garde-fous sur ce genre de théâtres d'opérations.»
Certains ont mis en doute la véracité du témoignage d'Alexis Nguitté. Il aurait donné trop de crédit à une «rumeur», comme Bangui en produit par centaines, ou aurait agi en espérant une compensation financière. «Je doute qu'il ait pu monter cette affaire de toutes pièces et soufflé aux gamins ce qu'ils devaient raconter, estime une travailleuse humanitaire dans la capitale. Cependant, peut-être avait-il espéré que cela donnerait plus de visibilité et de crédibilité, et donc plus de financements, à son ONG. Puis, l'affaire a pris plus d'ampleur que ce à quoi il s'attendait.»
Le procureur de la République de Bangui, Ghislain Grésenguet, qui a ouvert une enquête après les révélations dans la presse, ne croit pas non plus que les témoignages soient inventés. Certains sont certes «un peu confus, mais des éléments concordants, avec des noms de militaires qui reviennent, me laissent penser qu'il y a bien eu des faits», estime-t-il, toujours en colère de n'avoir pas été tenu informé par la France et les Nations unies, notamment l'Unicef qui concentre ses critiques. «L'organisation mériterait d'être poursuivie pour non dénonciation de crimes, s'emporte le magistrat. Ils disent agir pour le bien des enfants. Mais ce sont des enfants centrafricains dont on parle. Pourquoi n'a-t-on pas alerté la justice centrafricaine ?»