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Au rapport

Au Bangladesh, l’arsenic empoisonne toujours les habitants

Human Rights Watch dénonce l’incapacité du gouvernement à répondre au problème de l’eau contaminée dans les zones rurales du pays, un problème connu depuis les années 90.
Dès les années 90, les effets néfastes de l'empoisonnement à l'arsenic étaient flagrants. Ici, un Bangladais montre ses mains empoisonnées, couvertes de taches. (Photo Reuters)
publié le 6 avril 2016 à 7h23

Khobor a vu apparaître récemment des taches brunes sur sa poitrine et ses pieds. Cet agriculteur bangladais d'une trentaine d'années soupçonne l'arsenic présent dans l'eau du puits familial d'être à l'origine de ses maux. Khobor, qui vit avec sa femme et ses trois enfants dans un village rural au centre du Bangladesh, a déjà perdu ses parents il y a quelques années. Tous deux présentaient des taches similaires sur le corps. Il le sait : «Cette eau peut nous tuer.»

C'est sur ce sombre tableau que commence le rapport de Human Rights Watch, intitulé «Népotisme et négligence : l'incapacité à répondre au problème de l'arsenic dans l'eau potable des zones rurales pauvres du Bangladesh». De juin à septembre 2015, l'ONG a réalisé une enquête de grande ampleur, interrogeant 134 personnes, incluant des malades, des représentants du gouvernement ou des membres d'ONG. Elle a également analysé 125 000 nouveaux points d'eaux installés par le gouvernement entre 2006 et 2012. Résultat : Human Rights Watch dénonce l'échec des autorités à résoudre cette crise sanitaire.

Un drame sanitaire ignoré

Au total, 43 000 personnes meurent chaque année au Bangladesh des suites de maladies provoquées par cet élément chimique toxique. Comme en Chine et en Inde, l’arsenic est présent naturellement dans les sols. Mais l’activité humaine, notamment des puits construits à faible profondeur pour des raisons d’économie, expose les habitants à des doses dangereuses. Diabètes, cancers, maladies cardiovasculaires et pulmonaires… La liste des pathologies causées par une exposition chronique à l’arsenic est longue. Les premiers symptômes visibles sont des lésions cutanées, même si la majorité des malades n’en développent pas.

Or selon Human Rights Watch, le système de santé bangladais ignore largement les effets néfastes de l'arsenic sur la santé. Beaucoup de patients ne reçoivent aucun soin, bénéficiant, au mieux, de vitamines et de pommades en guise de traitement. «En ce qui concerne les problèmes liés à l'arsenic, ils nous disent généralement "nous n'avons rien pour votre maladie"», témoigne Nouka, une Bangladaise interrogée par l'ONG présentant des taches noires sur plusieurs parties de son corps.

L’échec du gouvernement

Pourtant, à l’image de Khobor ou de Nouka, 20 millions de Bangladais, principalement des ruraux, continuent de boire cette eau contenant de l’arsenic à un taux supérieur au standard du gouvernement, lui-même supérieur à celui préconisé par l’OMS (50 microgrammes par litre contre 10 mg/l). Ils n’ont guère le choix. L’eau du puits de Khobor contient autour de 250 microgrammes d’arsenic par litre, et aucun nouveau puits gouvernemental n’a été construit dans son village.

Si ce problème est connu depuis plus de vingt ans par les autorités du pays et les ONG, les efforts pour le résoudre ont considérablement diminué depuis 2006. Le rapport pointe plusieurs manquements. Le gouvernement ne ciblerait pas les zones où le risque de contamination à l’arsenic est le plus élevé et ne contrôlerait pas non plus la qualité des projets pour atténuer l’exposition à l’arsenic. 5% des nouveaux puits gouvernementaux analysés par Human Rights Watch seraient ainsi contaminés.

La corruption s’en mêle

Pire, Human Rights Watch relève que certains politiciens nationaux et locaux se livrent à un détournement généralisé des installations d'eau potable pour leurs partisans politiques et alliés, au détriment des villageois qui en ont le plus besoin. L'ONG interpelle aussi les donateurs internationaux. La Banque mondiale, qui a financé l'installation de 13 000 puits ruraux entre 2004 et 2010, devrait, selon l'ONG, vérifier si leurs puits sont contaminés et le cas échéant, les remplacer. «Les puits contaminés du gouvernement ont un besoin urgent d'être remplacés avant que les gens ne perdent le peu de foi qu'ils ont encore dans l'engagement du gouvernement à fournir une eau saine», conclut Richard Pearshouse, l'auteur du rapport. Un engagement qui remonte aux années 90.