A peine arrivé à la tête du Parti communiste chinois, fin 2012, Xi Jinping lançait à grand bruit une vaste campagne anticorruption visant les «mouches» et les «tigres», soit les petits et les hauts cadres du parti. Pas avare d'images, le nouveau numéro 1 chinois notait alors que «les vers n'apparaissent sur un corps que lorsqu'il est déjà en décomposition», et entamait une vaste purge de l'appareil, se débarrassant au passage de ses rivaux politiques et s'assurant le soutien de la population.
Mais depuis que le Consortium international des journalistes d’investigation a révélé que le beau-frère du président, Xi Jinping, et la fille de l’ex-Premier ministre Li Peng, entre autres, avaient ouvert des sociétés-écrans au Panama, réussir à cacher «le corps en décomposition» semble plus que jamais l’obsession du régime. Selon la BBC, des proches d’au moins deux des sept membres du Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste sont également mis en cause, ainsi que d’anciens piliers de ce cercle tout-puissant.
Humiliation. En réaction, pour tenter de contenir les révélations, et à défaut de les étouffer, le Global Times, quotidien officiel du régime, s'est fendu d'un éditorial violemment antioccidental. Qui, sans remettre en cause l'authenticité des documents, assure qu'ils sont évidemment manipulés. «Dans l'ère d'Internet, la désinformation ne pose aucun risque majeur aux influentes élites occidentales», assure le journal, fustigeant au passage«l'influence particulière de Washington». Une défense obstinée qui, pour le coup, vise mal : aucun grand quotidien américain ne fait partie du consortium de journalistes à l'origine des Panama Papers. Et la Maison Blanche a plutôt brillé par son silence.
Alors que le cabinet panaméen au cœur du scandale compte plus de bureaux en Chine que dans n’importe quel autre Etat (et le pays détient le plus grand nombre de propriétaires de comptes offshore), le scandale est censuré dans la presse et sur les réseaux sociaux.
Face à cette humiliation cuisante, Xi Jinping garde pour l'instant le silence. Selon Jean-Luc Domenach, auteur de les Fils de prince, une génération au pouvoir (1), «tout le monde sait que les proches de Xi Jinping fricotaient avec le numéro 1 de la fortune chinoise, Wang Jianlin. En 2008 ou 2009, quand il est apparu que son fils pourrait prendre les rênes du pays, la mère a réuni la famille et leur a dit, en gros, d'arrêter leurs conneries. A priori, tous ont obéi. Mais sa sœur Qiao Qiao, qui est très intelligente et a fait énormément pour la réussite de son frère, n'a pas réussi à faire cesser les activités de son mari». Pour le sinologue, Xi Jinping, même s'il avait «fricoté dans l'immobilier comme les autres», est toujours resté prudent, et n'a jamais été très motivé par l'argent : «Ce qui l'intéresse, c'est d'être le nouveau Mao Zedong.»
«Crapule». Les révélations pourraient bien semer la zizanie dans le cercle familial à la tête du pays. Mais un scénario à l'islandaise, qui se solderait par la démission des personnes visées par les Panama Papers, paraît peu probable. D'autant que la majorité de la population va être maintenue dans l'ignorance. Les seuls à pouvoir s'informer étant les jeunes bien connectés et ceux qui savent contourner la censure. En 2014, ces derniers avaient déjà appris que quelque 20 000 clients originaires de Chine continentale ou de Hongkong, dont plusieurs proches du PCC, seraient liés à des compagnies offshore situées dans des paradis fiscaux.
«Les Chinois savent que l'ancien Premier ministre Li Peng est une crapule absolue et que les membres du Comité permanent du Bureau politique sont pourris comme les autres, résume Jean-Luc Domenach. Le régime veut parier que les choses vont en rester là.» Une issue plausible, tant que le ralentissement économique n'entame pas la patience de la population.
(1) Fayard.