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Interview

Zika : «La lutte contre les moustiques à l’origine de ces épidémies n’est pas efficace»

Zika, une menace mondialedossier
Arnaud Fontanet est responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur et professeur au Conservatoire national des arts et métiers. En pointe dans la lutte contre Zika, il dresse un bilan.
Un moustique Aedes, vecteur du Zika, photographié dans un laboratoire de recherche à Salvador, le 7 février 2016 (Photo MARVIN RECINOS. AFP)
publié le 7 avril 2016 à 13h17

Arnaud Fontanet est responsable de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur et professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. En pointe sur l’épidémie de Zika, il dresse un bilan du moment présent.

On parle moins du virus Zika. Où en est cette urgence de santé publique mondiale comme l’a qualifiée l’Organisation mondiale de la santé ?

Il n’y a pas une épidémie, mais des épidémies avec des différences d’écosystèmes selon les pays, les sites. Pour le Brésil, l’épidémie a débuté en mars 2015, et elle devrait probablement durer jusqu’en juin prochain. Aujourd’hui, elle se déplace, pouvant être active dans une zone, moins dans une autre, selon la dynamique des vecteurs moustiques et l’état d’immunité des populations. La difficulté est de comprendre la continuité, et de dessiner des scénarios.

Et dans les territoires français d’outre-mer ?

En Martinique, l’épidémie est en phase descendante, alors qu’elle arrive plus fortement en Guadeloupe. En Guyane, le virus est présent, mais l’épidémie ne semble pas flamber. Mais ce ne sont que des indications, car la majorité des personnes infectées ne présentent pas de symptômes. Ce n’est qu’à la fin de l’épidémie, après une enquête en population recherchant la présence d’anticorps anti-Zika dans le sang des participants, que l’on pourra estimer le taux d’attaque de l’épidémie, c’est-à-dire la proportion de personnes qui ont été infectées. Souvenez-vous, en Polynésie, on a parlé sur le moment de 30 000 cas cliniques suspects, alors qu’il y a eu 170 000 infections (les deux tiers de la population).

Quand on disait qu’entre 70 et 80% des cas sont asymptomatiques, cela reste-t-il exact ?

Oui, même si on serait plutôt vers 70% que 80%.

Que sait-on maintenant des cas de microcéphalies ? Les données, au départ, en provenance du Brésil, étaient peu fiables.

Nous sommes face à deux difficultés : la surveillance d’un côté, nécessitant une déclaration active des cas de malformations congénitales et de fait souvent incomplète; et, de l’autre côté, la définition de la microcéphalie. Par définition, les 3% des enfants ayant les périmètres crâniens les plus petits sont considérés microcéphales, alors que beaucoup d’entre eux sont des enfants bien portants et simplement de petite taille. Il faudrait ne considérer que les enfants ayant en plus d’une microcéphalie des anomalies neurologiques à l’examen clinique ou lors des examens complémentaires (échographie, scanner cérébral ou imagerie par résonance magnétique).

Nous avons publié récemment un article sur les microcéphalies liées à l’épidémie de Zika en Polynésie, et nous avons abouti à un taux de 1% de microcéphalies chez les femmes enceintes contaminées lors du premier trimestre de la grossesse. C’est un taux bas vis-à-vis des données brésiliennes, mais parce qu’il ne retient que les enfants avec microcéphalie et anomalies neurologiques associées. Par ailleurs, il existe des enfants avec anomalies neurologiques sans microcéphalie. Les cohortes brésiliennes en cours l’ont bien montré. Il peut s’agir d’infections qui ont lieu après le premier trimestre de la grossesse.

D’autres atteintes neurologiques chez l’adulte ont été évoquées.

Oui, et en particulier le syndrome de Guillain Barré, qui a été bien décrit en Polynésie française. Lors de cette épidémie, 70 atteintes neurologiques avaient été relevées, dont 42 Guillain Barré. Ce qui est nouveau dans les publications récentes des Antilles et du Brésil, c’est que l’on a pu mettre en évidence le virus dans le liquide céphalorachidien des patients, incriminant directement le virus Zika.

Dans les territoires d’outre-mer, y a-t-il eu beaucoup de cas de Guillain Barré ?

Non, il y en a eu peu. Mais on ne pourra vraiment l’affirmer qu’après, car il existe un délai de quelques jours à quelques semaines entre l’infection par le virus Zika et le début des manifestations neurologiques. En Martinique, aujourd’hui il y a eu 10 cas de GB, mais on ignore combien sont attribuables au virus Zika. En Polynésie, nous avions trouvé un nombre élevé de GB (2,4 pour 10 000 infections par le virus Zika), mais il se peut qu’il y ait des facteurs génétiques qui rendent la population de Polynésie plus susceptible que d’autres…

Et quid de la transmission sexuelle ?

Elle existe, mais elle semble faible. C’est inédit car on ne l’avait jamais vu avec les arbovirus, et c’est une contamination d’homme vers la femme uniquement. On trouve des traces du virus dans le sperme de l’homme, jusqu’à quelques semaines après sa contamination.

Dans le reste du monde, l’épidémie peut-elle s’emballer ?

L'épidémie existera partout où il y a ce type de moustiques Aedes qui transmet le virus. En Afrique comme en Asie, notre hypothèse est que le virus a déjà circulé, à des taux même élevés. En France métropolitaine, où le moustique Aedes albopictus est présent dans le sud de la France, on aura peut-être quelques cas groupés, mais vraisemblablement pas d'épidémie. Peut-être qu'une épidémie pourrait se dérouler à la Réunion.

Où en est-on sur le vaccin, et sur les tests ?

Les tests arrivent, et permettront sur une prise de sang de mieux distinguer les cas de dengue et de Zika, qui aujourd’hui donnent des réactions croisées. Beaucoup d’instituts de recherche travaillent sur le vaccin. Mais entre les essais sur l’animal qui commencent tout juste, puis les essais sur l’homme, cela prendra trois ans avant mise à disposition dans l’hypothèse où le vaccin serait efficace.

Finalement, diriez-vous que l’OMS a péché par excès d’alarmisme ?

Non. Au moment de l'alerte, on ne connaissait pas encore l'étendue des complications de l'infection, et les microcéphalies ont montré que l'infection pouvait avoir des conséquences sévères. De plus, on ne peut éviter le constat que la lutte contre les moustiques à l'origine de ces épidémies n'est pas efficace, ni à l'échelle d'une île, ni d'un pays, ni d'un continent. On n'a pas trouvé la bonne réponse. L'exemple du Brésil est clair : il y avait, là, déjà, des mesures contre la dengue, transmise par le même moustique, et cela n'a pas empêché la propagation du virus Zika. En second lieu, nous sommes face à une épidémie sans traitement. Bref, il y a un énorme effort à poursuivre, car ces deux espèces de moustiques sont aujourd'hui bien installées, Aedes aegypti en zone tropicale, et Aedes albopictus en zone tempérée. Ces épidémies vont donc continuer, et il n'est pas exclu que d'autres arbovirus émergent maintenant que le terrain est prêt. En tout cas, l'urgence est à l'amélioration de la lutte antivectorielle.