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Libération

Clinton, davantage faucon que colombe

Plus va-t-en-guerre qu’Obama, la démocrate est légitimée par son expérience de secrétaire d’Etat, mais traîne le fiasco libyen et l’impasse en Syrie.

ParFrédéric Autran
(à New York)
Publié le 08/04/2016 à 19h51

Avec 112 pays visités et un million et demi de kilomètres parcourus lorsqu'elle était secrétaire d'Etat, Hillary Clinton possède plus d'expérience en politique étrangère que tous ses adversaires réunis. En ces temps troublés, c'est un atout incontestable. Les sondages le montrent, d'ailleurs : les Américains, dont l'angoisse sécuritaire est au plus haut depuis le 11 Septembre, font davantage confiance à Clinton pour lutter contre le terrorisme. Dans l'hypothèse d'un duel avec Donald Trump, 54 % des électeurs la jugent plus à même de gérer ce dossier, contre 40 % pour le milliardaire, selon une enquête ABC-Washington Post. Face à la rhétorique incendiaire des favoris républicains - Trump proposant d'interdire l'entrée des Etats-Unis aux musulmans et Ted Cruz suggérant de larguer un «tapis de bombe» sur l'Etat islamique -, Clinton se présente comme la voix de la raison. «Les slogans ne constituent pas une stratégie. Ce dont l'Amérique a besoin, c'est d'un leadership fort, intelligent et constant pour mener et remporter cette bataille» , déclarait-elle au lendemain des attentats de Bruxelles.

«Désastre». Pour Clinton, l'arme de l'expérience est toutefois à double tranchant. Avoir un bilan ne signifie pas pour autant qu'il soit bon. Et après quatre ans à la tête de la diplomatie américaine, de 2009 à 2013, l'ancienne Première Dame doit trouver le délicat équilibre entre défendre la politique qu'elle a contribué à mener et marquer sa différence. Ses adversaires républicains, eux, ne font pas la distinction : «La politique étrangère Obama-Clinton est un désastre manifeste» , martelait récemment Ted Cruz. Entre les deux anciens rivaux des primaires démocrates en 2008, d'importantes nuances existent pourtant. Apôtre du smart power («pouvoir intelligent»), sorte de diplomatie 2.0 associant outils militaires, économiques ou culturels, Clinton est plus faucon que colombe. En 2003, alors sénatrice de l'Etat de New York, elle avait soutenu la guerre en Irak, contrairement aux sénateurs Obama et Sanders. Au département d'Etat, elle n'a jamais partagé l'extrême réticence d'Obama à intervenir à l'étranger, en particulier dans le monde arabe.

La guerre en Libye illustre ces dissensions. Alors que l’armée de Muammar al-Kadhafi menace Benghazi, début 2011, la France et la Grande-Bretagne poussent pour une opération militaire. Au sein du cabinet Obama, beaucoup s’y opposent, à commencer par le secrétaire à la Défense, Robert Gates. Tiraillé, Obama se laisse finalement convaincre par Clinton de faire tomber le dictateur libyen. La suite, on la connaît. Les armes volées du régime ont alimenté le terrorisme de Syrie au Mali en passant par le Nigeria. Et la Libye, Etat en faillite, est devenue un repaire de groupes jihadistes.

Outre le fiasco libyen, les candidats républicains reprochent aussi à l'administration Obama d'avoir fait trop peu, trop tard, pour enrayer la montée de l'EI. Sur ce dossier, Clinton n'a pas obtenu gain de cause. Dès 2012, elle défendait un plan secret de la CIA visant à armer massivement les rebelles syriens pour faire tomber Al-Assad. Un plan qu'Obama décidera de ne pas mettre en œuvre, suscitant a posteriori les critiques de l'ex-Première Dame. «Notre échec à aider à bâtir une force combattante parmi les manifestants anti-Al-Assad a laissé un grand vide, que les jihadistes ont comblé», déclarait-elle en août 2014. Il y a quelques semaines, avant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu en Syrie, Clinton plaidait pour la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne pour protéger les civils. Contre l'EI, elle veut renforcer le renseignement ainsi que le nombre d'unités des forces spéciales déployées sur place. En revanche, elle n'est pas favorable à l'envoi de troupes au sol.

Pour le reste, Hillary Clinton défend le rapprochement des Etats-Unis avec Cuba. Contrairement aux républicains, elle soutient également l’accord nucléaire avec l’Iran, tout en promettant une extrême fermeté à la moindre violation. Sur le dossier israélo-palestinien, sa position s’apparente à celle de la droite conservatrice américaine. S’exprimant il y a deux semaines devant le puissant lobby pro-israélien Aipac, elle a promis, en cas de victoire, d’inviter le Premier ministre israélien dès le premier jour de sa présidence. Une rupture avec Barack Obama, dont les relations sont notoirement tendues avec Benyamin Nétanyahou.

Rupture. En outre, Clinton a promis de s'opposer à toute tentative du Conseil de sécurité de l'ONU de s'emparer du dossier, comme le souhaitent plusieurs pays européens, dont la France. Enfin, contrainte de mettre la barre à gauche sous la pression de Bernie Sanders, Hillary Clinton a opéré un spectaculaire revirement sur le dossier du libre-échange. Après l'avoir vigoureusement défendu, lorsqu'elle était secrétaire d'Etat, elle clame aujourd'hui son opposition au TPP, le traité trans-Pacifique signé en février par une douzaine de pays.