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analyse

En Ukraine, un Premier ministre parti pour mieux revenir ?

Arseniy Iatseniouk vient de démissionner, premier signe d’apaisement de la crise politique qui secoue le pays.

Arseniy Iatseniouk à Kiev en février 2014. (Photo Konstantin Chernichkin. REUTERS)
ParSébastien Gobert
Correspondant à Kiev
Publié le 10/04/2016 à 18h08

Arseniy Iatseniouk se revendique comme un «vrai leader national». A l'en croire, c'est pour cela que le Premier ministre ukrainien démissionne. L'annonce est une onde de choc, qui vient perturber un des premiers dimanches de printemps à Kiev. Arseniy Iatseniouk a plusieurs fois manqué d'être renvoyé au cours des derniers mois, accusé de chapeauter un système de corruption généralisée et de bloquer l'adoption de réformes structurelles. Face à sa résistance, on aurait pu croire qu'il n'abandonnerait jamais son poste.

L'annonce de sa démission pourrait être un premier signe d'apaisement d'une crise politique «créée artificiellement», selon Arseniy Iatseniouk. Dans sa ligne de mire, les manigances du Bloc de Petro Porochenko, la majorité présidentielle, «pour accroître son pouvoir sur le gouvernement», comme l'explique le politologue Anders Aslund. Des négociations de couloir et manipulations politiciennes qui se sont éternisées, notamment en l'absence d'un consensus sur une solution de remplacement à Arséni Iatseniouk. Dans le contexte de guerre et de grave crise économique que traverse l'Ukraine, l'exigence de stabilité de l'exécutif, chère aux bailleurs de fonds occidentaux, a compliqué les traditionnelles luttes politiciennes ukrainiennes.

L'objectif principal de la crise, cependant, était resté le même : «Iatseniouk doit partir.» Pendant des semaines, l'ancien journaliste d'investigation et député Serhiy Leshchenko et de nombreux autres avaient accusé le chef du gouvernement d'avoir consolidé un système oligarchique aux antipodes des attentes de la «révolution de la dignité» de l'hiver 2014.

«Malgré l'absurdité de la situation [de crise, ndlr], malgré les accusations sans fondement, j'ai proposé un plan de sortie de crise», a asséné Arseniy Iatseniouk dans son discours de démission, tout en présentant le bilan des deux cabinets qu'il a dirigés. La restructuration de l'armée, la réduction de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, l'assainissement des finances publiques sont certes à porter au crédit du Premier ministre, arrivé aux affaires à l'une des périodes les plus difficiles de l'histoire de l'Ukraine contemporaine. Maintenir seulement le pays à flot est bien en deçà du rêve révolutionnaire d'une transformation radicale et pro-européenne du pays.

Arseniy Iatseniouk démissionne la tête haute, et ne perd pas l'occasion de nommer son successeur. Ce sera Volodymyr Hroïsman, actuel président du Parlement et favori du président Petro Porochenko, ce qui laisse suggérer un accord préalable entre les trois hommes. La nouvelle équipe se trouve néanmoins dans une position difficile, alors que Petro Porochenko est critiqué pour un usage sélectif de la justice et son recours à des sociétés offshore, divulguée dans les Panama Papers. Arseniy Iatseniouk, qui démissionne de son propre chef, entend donc jouer un rôle futur en politique. Et d'annoncer des objectifs «qui dépassent la simple fonction de chef de gouvernement». Les Ukrainiens n'auraient pas fini d'en entendre parler.