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Libération
Reportage

Hanawon, sas d’intégration coréenne

Péninsule. Le passage obligatoire dans une école du Sud censée les préparer à la vie capitaliste en douze semaines n’enraye pas les inégalités et discriminations que subissent la plupart des 28 000 transfuges du Nord.
A Pyongyang, en Corée du Nord. (Photo Mark Harris. Getty Images)
publié le 10 avril 2016 à 19h41

Des élèves en survêtement, des salles de cours dans des immeubles en brique, un dortoir, une bibliothèque, une cantine et un terrain de football : on se croirait presque sur un campus américain. Mais Hanawon n'est pas une école comme les autres. A commencer par les barbelés qui entourent l'établissement. «On ne peut pas exclure une attaque du Nord», justifie un responsable.

Dans ce centre coupé du monde, situé dans le plus grand secret au milieu des rizières du Gyeonggi, à une heure au sud de Séoul, tous les pensionnaires sont des femmes et toutes ont fui la dictature nord-coréenne. A leur arrivée en Corée du Sud, l’institution gouvernementale est un passage obligé. Les hommes sont accueillis séparément, dans un centre similaire. C’est dans ces lieux que treize employés d’un restaurant nord-coréen, douze femmes et un homme ayant fui vers la Corée du Sud jeudi, vont devoir séjourner, a annoncé le ministère de la Réunification. Parmi les 28 000 transfuges, ce type de défection en groupe est assez rare. Les communiqués du gouvernement pour les annoncer le sont aussi. Les élections législatives qui se tiennent mercredi en Corée du Sud n’y sont probablement pas pour rien.

Au programme du centre d'Hanawon : cours d'anglais, d'informatique ou encore leçons pour apprendre à ouvrir un compte bancaire et utiliser un distributeur de billets. «Nous leur prodiguons un soutien psychologique, des explications sur la législation, les assurances, l'économie capitaliste… Ainsi que des conseils pour leur installation et leur carrière. Honnêtement, douze semaines pour comprendre la société sud-coréenne, c'est trop peu. Mais on peut difficilement les garder plus longtemps», explique Kim Man-ki, du département éducation et formation du ministère de la Réunification qui gère le centre.

«Accent du Nord»

Mais certaines choses ne s'apprennent pas dans les livres. Une fois «libres», la plupart des transfuges nord-coréens découvrent une réalité à laquelle ils n'avaient pas été préparés. Fin septembre, une centaine de réfugiées étaient invitées à retourner à Hanawon pour une «fête des anciennes diplômées». Au fond de la salle, les pensionnaires de l'école, reconnaissables à leurs uniformes de couleur, ont écouté leurs «aînées» poser des questions au ministre de la Réunification. Pour toutes les participantes, les préoccupations étaient clairement du même ordre. Ici, une dame raconte qu'elle a du mal à trouver des investisseurs pour son projet d'agence de voyages sur l'île de Jeju. Là, une jeune fille demande comment devenir fonctionnaire, pour enfin avoir accès à un métier stable. «J'aimerais savoir pourquoi mes amis nord-coréens et moi sommes moins bien payés que nos collègues sud-coréens», s'exclame une troisième femme, serveuse dans un restaurant. «Faites tout pour vous débarrasser de votre accent du Nord !» conseille ensuite une «ancienne» aux nouvelles arrivantes.

A l’issue des trois mois passés à Hanawon, les réfugiés se voient accorder la nationalité sud-coréenne, un logement, une enveloppe d’environ 6 000 euros ainsi que des primes à l’emploi. Pour encourager l’embauche des Nord-Coréens, le gouvernement prend également en charge une partie de leur salaire. Malgré ces mesures généreuses, les inégalités persistent. Un Nord-Coréen gagne en moyenne 50 % de moins qu’un Sud-Coréen, selon une étude publiée l’an dernier. Les jeunes transfuges, premiers touchés, sont nombreux à interrompre leurs études et à se retrouver sans emploi. Les Sud-Coréens, et notamment les jeunes, se sentent de moins en moins proches de leurs voisins et se disent moins concernés par les problèmes au Nord et la question de la réunification.

«Chenil»

Le risque, écrivait l'an dernier le chercheur Go Myong-hyun dans un rapport pour l'institut Asan, est «que les Nord-Coréens se retrouvent relégués de façon permanente à la marge de la société sud-coréenne». Celui-ci préconise «une approche à long terme qui mette l'accent sur la lutte contre les préjugés qui pèsent contre les réfugiés au sein de la société sud-coréenne». Ces préjugés, madame Kim en a fait les frais. Comme la plupart des réfugiés nord-coréens, elle souhaite garder l'anonymat. «Ce que j'ai appris à Hanawon est très différent de ce que j'ai ensuite vécu dans la vraie vie», glisse-t-elle timidement. Arrivée au Sud en 2008 à l'âge de 31 ans, elle a essuyé de nombreux refus avant de trouver un emploi dans un chenil. «En entretien d'embauche, on me disait : tu viens de Corée du Nord, donc tu n'as probablement aucune idée de comment les choses fonctionnent ici, se souvient-elle. Dans mon quartier, il arrive régulièrement qu'on me dévisage. C'était si difficile qu'il m'est arrivé de songer à retourner au Nord. Et puis je me suis ravisée.»

Autant de difficultés qui ne figurent pas dans les enseignements dispensés par le gouvernement. De l'avis de nombreux experts, le programme aurait besoin d'être repensé en profondeur. «Il faudrait des formations ciblées selon les besoins. Un réfugié de 25 ans qui a fait des études supérieures à Pyongyang et qui n'a pas de famille au Sud a des attentes très différentes d'une quinquagénaire de province qui vient rejoindre ses enfants», estime Sokeel Park, de l'ONG Liberty in North Korea, qui aide les transfuges nord-coréens depuis leur fuite à la frontière jusqu'à leur intégration dans le sud de la péninsule. En 1999, quand le gouvernement a ouvert Hanawon, c'était pour répondre à une première vague de réfugiés qui fuyaient la famine. Aujourd'hui, les profils et les motivations des réfugiés sont plus divers. «Je ne suis pas sûr que le gouvernement puisse vraiment apprendre à quelqu'un à devenir sud-coréen en trois mois. Le meilleur moyen d'apprendre, c'est d'être plongé au cœur de la société, de faire des expériences, des erreurs», ajoute Park.

«Soulagement»

Finalement, les Nord-Coréens installés à Séoul semblent surtout se souvenir de leur séjour à Hanawon comme d'une parenthèse hors du temps, entre leur passé tumultueux et leur nouvelle vie souvent pleine d'obstacles au Sud. Ils y arrivent généralement éreintés, au terme d'un dangereux périple via la Chine, qu'ils doivent quitter de façon clandestine à cause d'un accord de rapatriement entre Pékin et Pyongyang. A leur arrivée, ils subissent tout d'abord un interrogatoire qui dure entre un et six mois par les services de renseignement sud-coréens, qui vérifient leur parcours, collectent les informations et tentent de repérer d'éventuels espions infiltrés. «Après avoir passé mon temps à me cacher en Chine, l'arrivée au centre l'an dernier a été un soulagement. Ici, on n'avait pas à se soucier de la nourriture. Tout était fourni. Après, je suis entrée dans le monde réel. Hanawon, c'est un peu ma ville natale», se souvient Lee, 46 ans, qui travaille désormais comme couturière dans un atelier de retouches de vêtements d'un grand magasin de Séoul.

Une analyse que partage Joo Sung-ha, l'un des réfugiés qui «ont réussi» au Sud. Journaliste pour le grand quotidien Dong-A, il est devenu l'une des voix les plus influentes sur le régime de Kim Jong-un. «Pour moi, le mérite de Hanawon, ce ne sont pas ses programmes éducatifs, mais le fait que ce soit un endroit où les réfugiés peuvent enfin souffler, remarque-t-il. A l'époque, je m'y ennuyais et j'avais envie d'en sortir le plus vite possible. Mais quand je traverse des moments difficiles, il m'arrive d'être nostalgique de cette période.»

Pyongyang aurait lancé un missile intercontinental

La Corée du Nord a affirmé samedi avoir testé avec succès un moteur de missile balistique intercontinental (ICBM), qui lui donnerait la capacité d'effectuer une frappe nucléaire sur le continent américain. Grâce à ce nouveau moteur, la Corée du Nord peut «maintenir à portée de tir tous les bas-fonds remplis de malfaisants de la Terre, y compris la partie continentale des Etats-Unis», a assuré son leader, Kim Jong-un, à l'agence de presse officielle KCNA. Washington a rapidement réagi à cette nouvelle provocation, appelant la Corée du Nord à s'abstenir «de tout acte ou déclaration susceptible de déstabiliser davantage la région». La tension n'a cessé de croître dans la péninsule depuis que Pyongyang a affirmé en janvier avoir réussi son premier essai de bombe à hydrogène, bien plus puissante que la bombe atomique ordinaire. Ce test avait été suivi du lancement d'une fusée, considéré par les spécialistes étrangers comme un essai déguisé de missile à longue portée. En riposte, le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté de nouvelles sanctions contre Pyongyang. Nombre de spécialistes restent sceptiques face aux revendications de succès de la Corée du Nord dans les domaines du nucléaire militaire et des missiles. Pyongyang tenterait en fait de mettre en valeur ses actions avant le congrès historique du parti au pouvoir le mois prochain, le premier depuis trente-six ans.