Menu
Libération
Vu de Buenos Aires

Argentine : offensives judiciaires sur les années Kirchner

L'ancienne présidente comparaît aujourd'hui dans l'affaire du «dollar futur». Ce n'est pas le seul dossier la concernant, dans un climat politique où les révélations des Panama Papers éclaboussent son successeur.
Cristina Kirchner à son arrivée à l'aéroport de Buenos Aires, le 11 avril. (Photo Juan Mabromata. AFP)
par Mathilde Guillaume, (à Buenos Aires)
publié le 13 avril 2016 à 8h00

La grisaille de l'automne austral s'est abattue sur Buenos Aires sans aucune transition. Du soleil brûlant qui avait accompagné l'élection de nouveau président Mauricio Macri, libéral annonciateur d'une nouvelle ère pour l'Argentine laissée exsangue par douze ans d'un Kirchnérisme dont le programme social n'a pas tenu ses promesses, il ne reste que les ombres. Son opération «mani pulite», visant à faire répondre devant la justice les piliers du modèle antérieur pour de nombreux cas de corruption, s'est vue entachée par les révélations des Panama Papers, qui en le faisant figurer dans le club très fermé des présidents mis en cause, ont sali sa robe de chevalier blanc. Dès lors, dans une Argentine encore très divisée politiquement, toutes les actions judiciaires menées contre l'ancienne administration Kirchner sont aujourd'hui ressenties comme autant de contre-feux. Pourtant elles sont nombreuses, les enquêtes ouvertes contre l'ex-présidente et son entourage.

Mardi, c’est son ministre de l’Economie, le très rock and roll Axel Kicillof qui a été entendu par un juge dans l’affaire dite du «dollar futur». Il s’agit d’une vente spéculative présumée de devises par le biais de la Banque centrale, au moment même où le contrôle des changes imposé par l’administration Kirchner était le plus strict, qui aurait entrainé une perte de 4,6 milliards d’euros pour le pays. Ce mercredi, Cristina Kirchner elle-même a été citée à comparaître dans le même dossier au tribunal de Comodoro Py à Buenos Aires, la forçant à sortir de la retraite en Patagonie où elle s’était réfugiée depuis la défaite des présidentielles. Et elle n’y sera pas seule. Des milliers de militants à la loyauté inébranlable sont attendues en soutien à leur passionaria, comme aux grandes heures du péronisme.

«Les premiers dominos qui s'effondrent»

Mais l’affaire du «dollar futur» est loin d’être le seul caillou dans l’escarpin de Cristina Kirchner. Une autre, plus périlleuse encore, l’associe à un jadis obscur employé de banque, devenu le plus gros récipiendaire de contrats d’Etat pour la construction de routes dans le sud du pays, aujourd’hui milliardaire et placé en examen, Lazaro Baez. Blanchiment d’argent, fausses factures, rétrocommissions… tout y est. Jusqu’à une vidéo qui a filtré dans la presse montrant le comptage de millions de pesos en liquide dans une obscure officine : liasses obèses et blagues potaches. La troisième affaire, celle de l’hôtel de luxe Hotesur en Patagonie, appartenant à la famille Kirchner et suspecté d’avoir blanchi une partie du magot, est la prochaine sur la liste.

«Malgré les jeux politiques, la sensation actuelle est celle de l'ivresse provoquée par les premiers dominos qui s'effondrent», se réjouit Gustavo Vera, député rebelle d'une association anticorruption devenue parti politique, la Alameda, qui espère un grand nettoyage. Mais beaucoup d'Argentins doutent de l'indépendance de leur justice, et continuent de voir cette opération mains propres à travers un prisme partisan.

Panama papers présidentiels contre supposée corruption organisée kirchnériste : la victoire du cynisme ? Le «tous pourri» n'est pas loin, le «que se vayan todos» (qu'ils s'en aillent tous, slogan post crise de 2001 ndlr) non plus. Ironie du sort dans ce pays qui n'en manque pas, le groupe de presse La Nacion SA ainsi que son directeur Luis Saguier, chargés de l'enquête sur les Panama Papers en Argentine par l'ICIJ (le consortium international du journalisme d'enquête ndlr), apparaissent eux-même dans ces registres, accusés de fraude fiscale.