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Libération

Les finances publiques, une bombe à retardement

Croissance trop faible, dette de l’Etat, déficit public, fuite des capitaux : Le Caire est au bord du gouffre.
publié le 15 avril 2016 à 20h01

Apriori, c'est un bilan de santé économique qui aurait de quoi faire de nombreux envieux. Pour la seule année 2015, l'Egypte a affiché un taux de croissance de 4,6 %, soit une création de richesse nationale deux fois supérieure à celle de 2013 ou 2014. Mais une fois dépassée la simple lecture des chiffres, rien (ou presque) ne permet encore d'affirmer que le pays est sorti de l'ornière. Selon la plupart des projections, le soufflet de la croissance devrait retomber à un peu moins de 4 % cette année. Bien sûr, l'Egypte ne fait plus du surplace, comme ce fut le cas en 2011, lors de la révolution qui a fait fuir investisseurs et touristes. Mais près de cinq années après la révolte qui réclamait «pain, liberté et justice sociale», rien ou presque n'a changé. Et Le Caire est toujours assis sur une bombe à retardement économique.

Comme la plupart des pays en développement, son importante population (90 millions d'habitants) ne profite des effets de la croissance qu'à partir d'un niveau que les experts évaluent à près de 7 %. Le pays, dont plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, en connaît donc deux fois moins en ce moment. Pire encore, les chiffres montrent à quel point la population pourrait ne pas goûter aux fruits de l'embellie des années 2015 et 2016. «La croissance s'explique principalement par des investissements dans le secteur de l'énergie, explique Pascal Devaux, économiste à BNP Paribas. Or, ce sont des compagnies étrangères comme ENI et British Gaz qui ont poussé la croissance. A elles seules, ces deux compagnies ont investi près de 12 milliards de dollars en 2014 et 2015 pour un PIB de quelque 290 milliards de dollars.»

Tentaculaire. Dans un pays encore fortement marqué par l'héritage de Gamal Abdel Nasser (le deuxième président de l'Egypte, de 1956 à 1970), la présence de l'Etat est déterminante dans l'économie. Bien sûr, l'Egypte ne ressemble pas à la plupart des pays du Golfe, où la main du pouvoir s'immisce partout. Mais elle est, malgré tout, tentaculaire. Aujourd'hui encore, les dépenses de l'Etat représentent près de 34 % du PIB du pays (dont 9 % servent à payer des millions de fonctionnaires et 6 % à des subventions pour l'énergie et l'alimentation). Or, en face de celles-ci, les recettes en impôts et autres taxes n'en finissent pas de piquer du nez (22 % du PIB).

Pour combler ce déficit budgétaire, l'Egypte se présente sur les marchés financiers, là où sont émises des obligations d'Etat, pour lever des fonds. Le faire à l'international ? Impossible, puisque plus personne (ou presque) ne veut miser le moindre dollar ou euro sur ce pays. Seule possibilité : le marché local. Certes, Le Caire arrive à se financer, notamment grâce aux souscriptions des banques. Mais en concédant des  aux d'intérêts qui avoisinent les 14 % sur des bons souverains dont la durée de vie dépasse rarement un an. «Cet endettement siphonne l'épargne déposée auprès des banques, qui préfèrent donc prêter à l'Etat plutôt qu'au reste de l'économie», ajoute Pascal Devaux.

Et pour cause : dans un pays où l’inflation est de l’ordre de 8 ou 9 %, le rendement sur la dette de l’Etat est plutôt attrayant… Mais cette montée en puissance de l’endettement de l’Etat tient du piège pour les finances du pays. En 2015, le service de la dette publique (les intérêts) a englouti un tiers des dépenses. Tous les experts en conviennent : cette fuite en avant a totalement asséché les finances de l’Etat, à tel point que ce dernier ne parvient pas à reprendre le chemin des investissements dans la santé, l’éducation et les infrastructures, pourtant essentiels pour la cohésion sociale. Se tourner vers l’extérieur, dans l’espoir d’y vendre du pétrole brut, des produits pétroliers ou encore du coton ? L’Egypte a bien tenté le coup. En vain. Là encore, c’est du jamais vu. Non seulement le déficit commercial est colossal, s’élevant à 40 milliards de dollars en 2014 (pour 22 milliards d’exportations et 62 milliards d’importations), mais en outre le pays, autrefois exportateur de pétrole et gaz, est désormais importateur net.

Escampette. L'étau se resserre chaque jour un peu plus du côté de la Banque centrale, là où les réserves en dollars, qui doivent servir à payer les produits importés, ne cessent de diminuer. «Ils en ont 16 milliards, de quoi tenir trois mois, explique un analyste financier. L'alerte est sonnée.» Déficit commercial, fuite en avant de l'endettement de l'Etat, capitaux qui prennent la poudre d'escampette en se réfugiant à l'étranger sous des cieux plus cléments, il n'en fallait pas plus pour alimenter le marché de la panique. Ou plus exactement le marché des changes au noir. Persuadés du pire, les Egyptiens qui en ont les moyens tentent de se prémunir d'une perte de valeur de la livre égyptienne en achetant des billets verts. Quitte à souffler un peu plus sur les braises de la crise.