Sur le papier, le pedigree de Donald Trump aurait dû en faire le candidat naturel de Wall Street. A la tête d’une fortune de 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) selon Forbes - plus du double selon lui -, le magnat de l’immobilier gravite après tout dans la même bulle que les richissimes banquiers, traders et patrons de fonds spéculatifs. Tous forment cette caste du «1%» maudite par les pourfendeurs des inégalités, dont New York est la capitale mondiale.
Mais en réalité, si son nom s'affiche aux quatre coins de Manhattan - sur ses tours des Cinquième et Première avenues, son immense immeuble d'affaires de Wall Street, son hôtel à Soho et même sur la patinoire de Central Park -, l'aura de Donald Trump semble dérisoire. «Il n'a aucune influence, que ce soit sur le plan politique, auprès des banques ou en matière d'économie et de commerce, explique Gregori Volokhine, président du fonds Meeschaert Capital Markets. Il ne s'est pas vraiment fait d'amis à Wall Street. Il est très solitaire. C'est une sorte d'électron libre avec un ego énorme.» En poste depuis plus de deux ans, l'actuel maire de New York, Bill De Blasio, assure, lui, ne l'avoir jamais rencontré. «Dans les années 80, certains de ses projets immobiliers controversés ont généré beaucoup d'attention. Il était d'avantage au centre du jeu dans cette ville, confiait-il récemment au New York Times. Mais aujourd'hui, je ne vois pas beaucoup l'influence de Trump à New York.»
«Guerres commerciales»
Si le manque d'organisation de sa campagne pourrait lui coûter cet été l'investiture du Parti républicain, Donald Trump reste pour l'heure solidement en tête dans la course aux délégués. Ce mardi, il devrait remporter une large victoire dans l'Etat de New York. Et cela inquiète Wall Street, qui voit en lui son plus farouche ennemi : l'inconnu. «Il est imprévisible sur de nombreux sujets et change souvent d'opinion. Cela crée une incertitude généralisée, et les marchés détestent l'incertitude», résume Grégory Daco, chef économiste au sein du cabinet Oxford Economics.
La rhétorique anti-immigration de Trump, sa promesse de taxer les importations chinoises ou mexicaines et l'incohérence de ses propositions fiscales préoccupent. Chaque mois, le centre de recherche Economist Intelligence Unit publie un classement des dix menaces pesant sur l'économie mondiale. En mars, pour la première fois, une présidence Trump y a fait son entrée en sixième position, un peu moins dangereuse qu'un éclatement de la zone euro mais plus risquée que des heurts militaires en mer de Chine ou un «Brexit». «Si Donald Trump devenait président, la contraction du PIB mondial serait d'environ 1 %», explique Robert Powell, l'un des auteurs du rapport. Conséquence notamment du «risque relativement élevé de guerres commerciales» avec la Chine et le Mexique.
Pour succéder à Barack Obama, les financiers républicains ont longtemps misé sur Jeb Bush, dont la campagne a reçu plus de 37 millions de dollars (près de 33 millions d'euros) de Wall Street, selon le Center for Responsive Politics. Après l'abandon de l'ancien gouverneur de Floride, puis de Marco Rubio, les investisseurs sont confrontés à un dilemme : doivent-ils soutenir Ted Cruz, le seul à pouvoir priver Donald Trump de l'investiture ? Pour l'heure, peu s'y sont résolus, pas vraiment emballés par le profil de l'ultraconservateur sénateur du Texas, hostile à tout compromis. «Wall Street veut un homme de consensus, un négociateur, quelqu'un capable de trouver un juste milieu», a déclaré à Politico Anthony Scaramucci, gestionnaire de fonds spéculatif.
Tout au long de sa campagne, Ted Cruz n'a cessé de dénoncer «le capitalisme de connivence» et le poids démesuré des grandes banques américaines. A court d'argent pour financer sa campagne, il a toutefois tempéré son discours à l'approche des primaires de New York. Ce lundi soir, Ted Cruz et son épouse, cadre chez Goldman Sachs, réuniront banquiers, traders et avocats d'affaires pour une levée de fonds à Manhattan.
Le rejet que génèrent les deux favoris républicains pourrait bénéficier à Hillary Clinton, qui a noué des liens étroits avec Wall Street du temps où elle était sénatrice de New York (2001-2009). Par le passé, les PDG de Goldman Sachs et JP Morgan Chase, deux des plus grandes banques américaines, ont contribué à plusieurs campagnes électorales du camp Clinton. Et si cette année, ils n’ont pas encore mis la main au portefeuille, d’autres employés de la finance n’ont pas hésité : selon le Center for Responsive Politics, Hillary Clinton et ses groupes de soutien ont reçu près de 22 millions de dollars du secteur financier, plus que tout autre candidat encore en lice.
Cette proximité avec Wall Street vaut à l'ancienne secrétaire d'Etat des attaques incessantes de son rival Bernie Sanders, qui l'accuse d'être à la botte des marchés financiers. «Peut-on vraiment faire confiance à une candidate qui promet d'apporter le changement en Amérique, de faire ce qui doit être fait pour les travailleurs, alors qu'elle dépend autant de l'argent du grand capital ? Je ne le crois pas !» a martelé jeudi le sénateur du Vermont, lors d'un débat télévisé houleux.
Conflits d’intérêts
Depuis des semaines, Bernie Sanders demande à sa rivale de publier le texte de ses discours rémunérés à des banques ou des fonds d’investissement, qui lui ont rapporté plus de 2,5 millions d’euros entre 2013 et 2015. Assurant qu’elle le fera uniquement si tous les autres candidats sont soumis à la même exigence, Hillary Clinton s’y refuse pour l’instant, alimentant les soupçons de conflits d’intérêts. Pour sa défense, l’ancienne secrétaire d’Etat répète que la campagne de Barack Obama en 2008 a elle aussi été en partie financée par Wall Street. Ce qui n’a pas empêché le président démocrate de renforcer les règles régissant les marchés financiers, avec la loi Dodd-Frank de 2010. Une réforme jugée toutefois timide par beaucoup.
Confrontée au succès de Bernie Sanders et de son discours anti-Wall Street, Hillary Clinton a revu sa copie depuis le début des primaires (lire aussi page 5). Sur la hausse du salaire minimum et les accords de libre-échange, l'ex-sénatrice de New York a mis la barre à gauche. Elle promet aussi de discipliner le secteur bancaire et financier, sans vraiment inquiéter les milieux d'affaires. «Oui, elle a une rhétorique plutôt agressive envers Wall Street, les marchés financiers, les grosses banques et même le libre-échange. Mais ce sont des positions différentes de celles qu'elle avait il y a six mois ou un an. Donc je pense qu'il faut distinguer la rhétorique politique de sa position réelle», commente Grégory Daco, d'Oxford Economics. Pour Gregori Volokhine, du fonds Meeschaert Capital Markets, «Clinton est une Obama en jupe» qui poursuivra la politique conciliante de l'actuel président vis-à-vis de Wall Street. «Un financier qui vote pour Hillary sait que, de toute façon, elle sera de son côté une fois les élections passées.»