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Libération
Outsider

Sanders, vainqueur de la course d’orientation

Les chances du démocrate sont faibles, mais son discours social a obligé Hillary Clinton à se repositionner.
Lors du rassemblement pro-Sanders au Washington Square Park, à New York, mercredi. (Photo Andres Kudacki. AP)
publié le 17 avril 2016 à 17h41

«Bernie Sanders a déjà gagné.» Sous ce titre récurrent, de nombreux articles de la presse américaine ont livré ces dernières semaines la même analyse de la campagne démocrate : si le sénateur du Vermont n’a quasiment aucune chance de remporter l’investiture, il est parvenu à imposer son agenda progressiste. En résumé : à Hillary la bataille des délégués, à Bernie celle du message.

On devine l'irritation de Bernie Sanders d'être dépeint sans cesse comme le «loser» influent, celui qui fait bouger les lignes mais franchira forcément celle de l'arrivée en deuxième position, derrière la reine Clinton. Lui en est convaincu : malgré un retard conséquent en termes de délégués, il peut encore rafler l'investiture démocrate puis triompher en novembre face au candidat républicain. Pour entretenir son rêve d'être le premier «démocrate socialiste» à conquérir la Maison Blanche, Sanders devra gagner mardi - et de préférence largement - la primaire de New York, le type d'Etat peuplé et cosmopolite où il n'est pas parvenu à s'imposer jusqu'à présent, exception faite du Michigan.

Barre à gauche

Un tel succès est-il à sa portée ? Dans une campagne pleine de surprises, impossible de l'exclure. Les sondages, eux, prédisent une victoire sans appel de Hillary Clinton, avec plus de 13 points d'avance. Dans ce contexte, la question mérite d'être posée : si Bernie Sanders échoue dans sa quête de l'investiture, aura-t-il gagné malgré tout ? Sa popularité, en particulier auprès des jeunes, aura-t-elle contraint Hillary Clinton à mettre durablement la barre à gauche ? «Les partisans de Sanders ont poussé Clinton à changer son langage, son message et sa façon de faire campagne. Ce n'est pas le chemin qu'elle voulait, mais c'est probablement celui qui sert le mieux ses intérêts, estime John Hudak, de la Brookings Institution, un think tank spécialisé dans les sciences sociales. Bernie Sanders l'a poussée à gauche sur de nombreux sujets, et cela fait de Clinton une meilleure candidate.»

L'un des dossiers sur lesquels l'ancienne secrétaire d'Etat semble avoir évolué, sous l'influence de Bernie Sanders, est celui du libre-échange. C'est même le plus beau retournement de veste dans le camp démocrate. Début octobre, trois jours après sa conclusion, Hillary Clinton annonce son opposition au Partenariat transpacifique (TPP), un accord de libre-échange entre douze pays, dont les Etats-Unis. En tant que secrétaire d'Etat, elle avait pourtant vivement défendu le TPP. Comme en septembre 2010 : «Nous savons que cet accord aidera à créer de nouveaux emplois et des opportunités aux Etats-Unis.» Ou en novembre 2012 : «Le TPP constitue une référence absolue en matière d'accord commercial pour ouvrir des échanges libres, transparents et équitables.»

Train en marche

Certes, Hillary Clinton a quitté le département d’Etat début 2013, soit deux ans et demi avant la fin des négociations. Dans l’intervalle, le texte a-t-il fondamentalement changé, poussant l’ancienne première dame à brusquement changer d’avis ? C’est possible, mais peu probable. L’explication la plus plausible est qu’Hillary Clinton ait décidé de s’aligner sur la position de Bernie Sanders, adversaire de longue date du TPP, pour ne pas s’aliéner la gauche du parti démocrate.

Autre dossier qui montre l'influence de Sanders : le salaire minimum. «J'ai toujours soutenu le mouvement pour un salaire à 15 dollars [environ 13,30 euros, ndlr] de l'heure», a martelé Hillary Clinton lors du débat démocrate de jeudi. Bernie Sanders a failli s'étouffer. A juste titre, il rappelle que le programme de Clinton plaide pour un salaire horaire minimum de 12 dollars au niveau fédéral (contre 7,25 actuellement). Sur ce sujet, Hillary Clinton brouille quelque peu les cartes : si elle veut fixer la barre à 12 dollars au niveau national, elle assure toutefois soutenir les Etats désireux d'aller plus loin. Récemment, New York et la Californie ont approuvé un passage progressif à 15 dollars de l'heure. Face aux nombreux succès du mouvement Fight for 15, soutenu dès ses débuts par Bernie Sanders, l'ancienne secrétaire d'Etat semble là encore tentée de prendre le train en marche. C'est également ce qu'elle fait sur les questions environnementales. Pressée pendant des mois de se prononcer sur le sujet, Clinton a fini par annoncer en septembre son opposition au projet d'oléoduc Keystone, visant à transporter du pétrole canadien vers les raffineries américaines du Golfe du Mexique. En 2010, alors secrétaire d'Etat, elle se disait pourtant «encline» à l'accepter.

Autre sujet de discorde : le fracking, la fracturation hydraulique permettant l'exploitation des gaz et pétrole de schiste. En tant que secrétaire d'Etat, Hillary Clinton a fait la promotion du fracking dans le monde entier, pour le compte des géants américains comme Chevron et ExxonMobil. Bernie Sanders, lui, veut interdire cette technique au niveau fédéral. Sous pression, la candidate Clinton a revu sa copie, sans pour autant aller aussi loin que son rival. «Elle soutient les communautés et les Etats qui ne veulent pas du fracking», explique son équipe de campagne. Une position pragmatique selon ses partisans, mais incohérente pour ses détracteurs.