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Libération
Reportage

A Mashiki : «Il va falloir du temps pour se relever»

Les séismes qui ont frappé le sud du Japon jeudi et samedi, tuant au moins 42 personnes, ont été suivis de plus de 500 répliques. La région de Kumamoto est particulièrement touchée par les destructions.
A Mashiki, lundi. Vingt-sept habitants de la ville ont trouvé la mort dans le séisme. (Photo Arnaud Vaulerin)
publié le 18 avril 2016 à 19h51

La terre a tremblé et d'un seul coup Hiroko Bradshaw s'est affaissée. Les yeux rougis de fatigue, l'air paniqué, elle a fixé le sol. «Ça recommence.» Mais pour une fois, pas de réplique à Mashiki, verdoyante bourgade rurale à une quinzaine de kilomètres à l'est de Kumamoto. C'est une pelleteuse qui provoque une peur bleue chez cette jeune femme aux cheveux de jais et à la longue robe sombre. En tassant le terrain, l'engin rebouche une fissure béante dans le goudron du parking de la mairie.

En l'espace de trente heures, Mashiki a été frappé par deux séismes d'une magnitude de 6,5, jeudi, et de 7,3, samedi matin. La ville de 33 000 habitants est devenue un champ de bataille. Sur les 42 morts répertoriés, 27 étaient de Mashiki. Le bilan aurait pu être bien plus lourd car la moitié des 10 000 maisons sont à terre ou en péril. Hiroko Bradshaw était chez elle quand la première secousse l'a surprise. Elle a quitté sa maison avant qu'elle ne s'effondre. «Mon téléphone, mes papiers sont restés sous les décombres. Je n'ai pas osé aller les récupérer car tout le monde m'a dit que c'était trop dangereux.» Elle pleure car elle vient de retrouver une amie qui la cherchait depuis quatre jours et, sans nouvelles, la pensait ensevelie comme les autres victimes.

Sur le parking de la mairie, Hiroko a rejoint une foule de volontaires qui distribuent nourriture, eau potable et couvertures. Ce lundi, Mashiki soigne ses âmes et panse ses plaies. Sans eau, sans électricité, ni gaz, la ville tente de se redresser et de sécuriser ses accès. Tout reste à faire. Par endroits, Mashiki n’est plus qu’un fatras de poutres broyées, de trottoirs fendillés, de tôles chiffonnées comme des fétus par la main broyeuse du séisme.

Jardin zen

Là, c’est un immeuble de trois étages qui s’est effondré tout droit en engloutissant le rez-de-chaussée. Plus loin, une maison s’est vrillée avant de piquer du nez dans un jardin zen, comme un navire échoué sur un rivage désolé. A 500 mètres de la mairie, le toit d’un temple s’est étalé en crêpe sur le gazon. Les tuiles grises forment un linceul de pierre sur le tapis végétal.

Devant se tient Matsuoka Nobuyoshi. Casquette délavée et larges lunettes rondes, ce retraité de 82 ans contemple les décombres de la maison de son fils qui a passé plusieurs heures coincé entre le plafond et le plancher avant d'être hospitalisé. «Il va bien maintenant, sourit le vieil homme, mais sa maison devra être rasée. Ces tremblements de terre sont du jamais-vu. Je n'avais plus vécu de moments aussi forts depuis les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Il va nous falloir du temps pour nous relever.»

Au bout d'une rue gondolée, on croise Matsumoto Kazufumi. Le patron local de JA, la grande coopérative agricole japonaise, mobilise ses troupes et rameute. Il a sorti table et chaises dans sa cour vide pour collecter des fonds. «Les agriculteurs sont les premiers touchés, explique-t-il. Leurs maisons sont souvent anciennes et pas toujours de bonne qualité, ce sont les premières à s'être effondrées. Il leur faut de l'argent pour les aider à se loger et à nourrir leurs animaux.» Matsumoto Kazufumi a perdu son toit qui s'est écroulé alors qu'il prenait un bain. Il a réussi à s'échapper, non sans se blesser. Il montre un bras gauche à vif et s'amuse d'être sorti presque nu des décombres. Il regarde passer la moto rouge du facteur qui fait des bonds sur la route. Tordu ou boursouflé, ouvert ou crevassé, le bitume est parcouru de zébrures et comme coiffé de plaques d'égouts qui font penser à des balises marines.

Dans ce monde mouvant et caoutchouteux, Ozuka Mitsuo tente de garder le cap. Avec son épouse, il est face à l'entrée de sa papeterie dont les murs porteurs se sont déportés vers la droite pour percer le mur du voisin. Tout de guingois, le bâtiment semble à genoux comme un pachyderme soumis. Ozuka Mitsuo a perdu son domicile à l'étage et sa boutique au rez-de-chaussée. La secousse de jeudi l'a réveillé et poussé à se réfugier dans sa voiture. De là, il a vu sa maison sombrer, samedi, après la réplique de 7,3. «Une telle secousse, ça ne m'était jamais arrivé, reconnaît cet homme calme, mais il faut dire que l'on s'y attendait un peu. On savait que nous vivions à côté à de la faille de Futagawa.»

Qui-vive

Longue de 64 kilomètres, elle traverse d'est en ouest la préfecture de Kumamoto. Elle croise une autre grande faille, celle de Hinagu, qui court sur 81 kilomètres vers le sud de la région. Cette zone de collines et de montagnes, où se trouve le mont Aso, entré en éruption samedi, est sujette à des tensions à une dizaine de kilomètres de profondeur. «Mashiki est dans ce carrefour où les sous-sols sont sous pression permanente, confirme Nobumasa Sugiura, directeur adjoint à la mairie. On parle souvent des deux principales failles, mais il y en a également plein de petites. C'est pourquoi il faut rester sur le qui-vive et se préparer au pire.» Depuis jeudi, plus de 500 répliques ont été comptabilisées, dont certaines de magnitude 5 ou 6, comme lundi soir dans le nord de Kumamoto.

Les habitants sont encore déstabilisés par le fait que le séisme de jeudi, considéré comme la secousse principale, a été suivi d'une onde de choc plus puissante une trentaine d'heures plus tard. «On ne peut pas exclure aujourd'hui un nouveau tremblement de terre, encore plus dévastateur que celui de samedi, prévient Matsushita Takayuki, de la cellule de crise de la préfecture de Kumamoto. Nous allons rester encore une semaine en alerte en espérant que les répliques baissent en intensité et que le climat soit clément.»

Les autorités ont mobilisé près de 30 000 policiers, pompiers et soldats. Une course contre la montre est engagée par une partie d’entre eux pour retrouver neuf disparus dans le village de Minamiaso, voisin de Mashiki, où d’importantes coulées de boue et des glissements de terrain ont englouti des pans entiers de collines et un pont. L’autre partie des secouristes a pris en charge les 104 900 déplacés dont nombre ont un accès limité à l’eau, à l’électricité et à la nourriture. Tous les bureaux et magasins sont fermés, y compris à Kumamoto, où les habitants ont des difficultés à s’approvisionner. Il est étonnant de traverser cette ville de 700 000 habitants, capitale régionale éteinte et bouclée depuis quatre jours, où un semblant de vie s’organise autour des abris et des centres d’hébergements.

A Mashiki, lundi midi, la mairie est redevenue en quelques minutes le cœur de la ville. Des volontaires ont dressé un barnum devant le portail et organisent une distribution. Au menu, boulettes de riz blanc, thé vert et soupe miso. Les gens font la queue dans le calme. Des habitants apportent à manger. Un groupe de policiers avalent quelques gorgées de soupe. Des ouvriers grillent une clope. La vie repart. Plus personne n'est porté disparu. Reste à lister les maisons dangereuses et condamnées à la destruction. Puis le sol tangue en faisant onduler légèrement le bitume. Cette fois, «ça recommence», mais personne n'y fait attention.

Au moins 350 morts En équateur

Le président Rafael Correa l'avait annoncé dimanche : les premiers bilans devaient s'alourdir, «probablement de manière considérable», après le séisme qui a frappé samedi soir la côte Pacifique de l'Equateur. Lundi, le ministre de la Sécurité, César Navas, annonçait 350 décès et plus de 2 000 blessés. En visite au Vatican, le président Correa est rentré en urgence. Il s'agit de la pire tragédie depuis le tremblement de terre de 1949 à Ambato, dans le centre du pays, où plus de 5 000 personnes avaient péri. Dans la station balnéaire de Pedernales, épicentre du séisme, les autorités estiment le nombre des morts entre 300 et 400, soulignant qu'une trentaine d'hôtels ont été détruits. La ville offrait lundi un paysage de guerre, avec de nombreux bâtiments effondrés et des lampadaires au sol. Des sauveteurs du Venezuela, de Colombie, du Pérou, du Mexique, de Cuba, de Bolivie, du Chili, de Suisse et d'Espagne y étaient à l'œuvre.