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Libération

En Corée du Sud, la liberté d’expression en eaux troubles

publié le 18 avril 2016 à 20h31

L'exposition consacrée à la création et au luxe à la française n'aura pas lieu. L'événement, qui devait débuter fin avril au musée national de Corée dans le cadre des années croisées France-Corée du Sud, à l'occasion du 130e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, a été annulé en février. L'affaire n'aurait pas fait autant parler d'elle si la directrice du musée, opposée à cet événement qu'elle jugeait «trop commercial», n'avait été démise de ses fonctions par la Présidente, Park Geun-hye, peu après l'annulation.

L'histoire, révélée fin mars par le quotidien de gauche Hankyoreh, relance en Corée le débat autour de la mainmise du gouvernement sur la production artistique. Même le quotidien Joongang, plutôt bienveillant à l'égard du pouvoir, réclamait début avril dans un édito moins de «contrôle» de la part du gouvernement et plus de «liberté d'expression» pour les artistes.

La crise la plus notoire, qui a fait réagir jusqu'à Cannes, Venise et Berlin, est celle qui frappe le Festival international du film de Busan, l'un des plus importants d'Asie. Au centre de la polémique le docu La vérité ne sombrera pas avec le Sewol, qui accuse les autorités d'être responsables du bilan dramatique (plus de 300 morts) du naufrage d'un ferry en 2014. Malgré la demande du maire, membre du parti conservateur au pouvoir, de retirer ce film jugé trop politique, l'organisation du festival a décidé de le diffuser lors de l'édition 2014. Quelques mois plus tard, la manifestation devenait la cible de plusieurs audits financiers et voyait ses subventions drastiquement réduites, et le directeur du festival a été contraint de démissionner en février. L'édition 2016, dont les préparatifs peinent à avancer, pourrait même être compromise : des réalisateurs menacent de la boycotter en guise de soutien à l'équipe limogée.

En septembre, des députés du parti d’opposition avaient dénoncé des actes de censure par le gouvernement et mis en garde contre un étiolement de la démocratie sud-coréenne. D’après eux, plusieurs artistes marqués à gauche s’étaient vu refuser les aides de l’Arts Council Korea, l’une des principales agences de promotion des arts. Parmi eux, un auteur de théâtre ayant ouvertement soutenu l’adversaire de la future cheffe d’Etat lors de l’élection présidentielle de 2012, et un autre ayant écrit une pièce satirique sur la Présidente et son père, l’ancien dictateur Park Chung-hee. Des accusations rejetées en bloc par l’organisation.

Un an plus tôt, une immense fresque satirique avait été retirée de la biennale de Gwangju en 2014 à cause des pressions de la mairie. L'œuvre, du peintre engagé Hong Seung-dam, représentait la Présidente en épouvantail manipulé par son père, en costume militaire et face à des familles de victimes en colère après le naufrage du Sewol. Le président de la biennale avait démissionné de son poste peu de temps après. Il avait alors déclaré : «La liberté d'expression ne devrait pas être restreinte par le gouvernement uniquement parce que ce dernier contrôle le budget des expositions.»