Parmi tous ceux qui se réunissent pour parler de drogue depuis mardi et jusqu'à ce jeudi au siège de l'ONU, à New York, il est peut-être l'un des seuls à vraiment savoir comment en fabriquer. Le Colombien Pedro Arenas, ancien récolteur de feuilles de coca - base de la cocaïne - s'est exprimé mercredi au nom de la société civile lors de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies consacrée aux stupéfiants. La réunion doit permettre de débattre de la «réforme des politiques de drogue» , axées jusqu'ici dans les conventions onusiennes sur l'interdiction des substances. Prévue au départ pour 2019, elle a été avancée à la demande de trois pays latino-américains : la Colombie, le Guatemala et le Mexique, tous touchés par la violence du trafic, tous décidés à remettre en cause les orientations actuelles.
Aspersions. Pedro Arenas, qui dirige dans son pays l'Observatoire des cultures déclarées illicites (OCDI), est déterminé à y dénoncer les méfaits et l'inefficacité de «cent ans de prohibition». Pour cela, «nous devons introduire le sort des producteurs dans le débat», assure le militant de sa voix posée. Les consommateurs de drogue, rappelle-t-il, parviennent de plus en plus à se faire entendre. Les politiques de réduction des risques, qui consistent par exemple à fournir des seringues neuves pour éviter les contaminations par le VIH ou les hépatites, ont progressé dans de nombreux pays, de la France à la Colombie. Et la décriminalisation de la consommation, voire sa légalisation dans le cas du cannabis, a été adoptée par plusieurs Etats. Mais les cultivateurs, qu'ils soient de pavot en Asie ou de coca dans les Andes, «se voient nier tous leurs droits».
Ces «maillons faibles de la chaîne du trafic de drogue», rappelle Pedro Arenas, n'ont pourtant rien de parrains bardés de chaînes en or et dotés de comptes en banque panaméens. «Il s'agit de petits paysans, souvent indiens ou noirs, toujours pauvres, qui ont été relégués dans des zones isolées, sans routes, sans hôpitaux, souligne-t-il. Dans ces régions, beaucoup d'enfants et d'adolescents abandonnent l'école et partent récolter la coca afin d'aider leur famille. Ce fut mon cas.»
Pedro Arenas a pu observer les effets de la répression au plus près : d’abord comme petite main dans les plantations, puis comme militant d’organisations de jeunesse. Dans les années 90, il a vu les premiers avions, escortés d’hélicoptères de guerre, asperger d’herbicide champs, maisons et villages des zones de production du bassin amazonien. Les matraques et les balles du pouvoir contre les manifestations de cultivateurs en poussent alors certains à rejoindre la guérilla, aggravant la guerre civile.
Dans les années 2000, ses mandats d'élus, en tant que député de son département du Guaviare, puis à la mairie de San José, la capitale départementale, ne permettent pas à Pedro Arenas de faire évoluer les politiques. Les aspersions massives de glyphosate - l'agent actif du Round Up - financées par Washington ont continué jusqu'en 2015, malgré les maladies dénoncées par des paysans contaminés. «Le coût financier et humain est énorme, et pour quel résultat ? En vingt ans, 2 millions d'hectares ont été éradiqués et la superficie cultivée en coca n'a baissé que de 14 000 hectares.»
«Vélo d'appartement». Sur ce constat d'impuissance, le président colombien, le libéral Juan Manuel Santos, qui doit intervenir ce jeudi à l'ONU, rejoint le militant paysan. «C'est comme du vélo d'appartement, a comparé le chef de l'Etat. On pédale et on n'avance pas.» La consommation, entre-temps, s'est étendue à des pays qui n'étaient que producteurs, comme la Colombie, ou zones de transit, en Amérique centrale ou en Afrique, et la cocaïne a conquis des territoires asiatiques encore vierges il y a vingt ans.
«Pour obtenir des résultats, il faut changer de méthode, insiste Pedro Arenas. Un monde sans drogue est un objectif irréaliste.» De son côté, le président Santos pointe l'absurdité de la situation : «Comment expliquer à un cultivateur de cannabis colombien qu'il peut aller en prison pendant qu'un jeune du Colorado ouvre sa deuxième boutique de vente légale ?» Le chef de l'Etat et l'ancien arracheur de feuilles ne parlent pas pour autant d'une même voix à New York. Juan Manuel Santos prévient qu'il ne demande «pas de légalisation». Tandis que pour Pedro Arenas, «la prohibition n'a servi jusqu'à présent qu'à maintenir les prix des stupéfiants à la hausse et à alimenter une corruption qui bénéficie à beaucoup de monde. Y compris au sein des forces de sécurité». Et les adolescents, déplore-t-il, continuent de déserter l'école pour une poignée de feuilles.