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Une volonté de ratifier rapidement
Ce vendredi, plus de 130 pays devraient signer l'accord de Paris dès le premier jour, un record. Cette cérémonie donnera le coup d'envoi au processus de ratification par les Parlements nationaux. Pour entrer en vigueur en 2020, l'accord de Paris doit être ratifié d'ici avril 2017 par au moins 55 parties à la Convention cadre des Nations unies sur le climat (CCNUCC), représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). La Chine, l'Inde, les Etats-Unis, l'Europe et la plupart des pays africains ont annoncé depuis plusieurs semaines qu'ils signeraient l'accord. En France, le projet de loi de ratification doit être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 17 mai, pour une approbation d'ici cet été. «Il y a très peu de risques que l'accord n'entre pas en vigueur», garantit Pascal Canfin, ancien ministre du Développement durable, et directeur général de WWF France. L'axe Etats-Unis-Chine, pivot de la COP 21, devrait même ratifier le texte conjointement. Parmi les pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique, certains ont déjà ratifié l'accord pour montrer leur volontarisme (Fidji, îles Marshall et Maldives).
Une croissance record des renouvelables
Les énergies renouvelables (solaire, éolien), beaucoup moins émettrices en gaz à effet de serre que les fossiles (pétrole, gaz, charbon), ont connu une croissance record dans le monde en 2015, comme le montre l'étude annuelle de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), publiée en avril. Les capacités installées ont augmenté de 8,3 % en 2015 (soit 153 GW de plus). C'est la plus forte croissance jamais enregistrée, malgré le faible prix du pétrole et du gaz, et «alors même que les Etats sont loin d'avoir tous modifié leurs politiques fiscales», pour encourager la transition énergétique, remarque Célia Gautier, du Réseau Action Climat (RAC). Cette croissance est surtout stimulée par le solaire (+ 26 %) et l'éolien (+ 17 %).
Toujours selon l'Irena, cette accélération dans le développement des renouvelables s'explique surtout par la chute des prix (- 45 % pour les éoliennes depuis 2010). «90 % des nouvelles capacités de production d'électricité installées dans le monde l'an dernier sont à base de renouvelables : c'était 50 % en 2013, c'est une accélération considérable, se réjouit Pascal Canfin. Et cette info a fait la une du Financial Times, c'est aussi un signal très fort : ça n'aurait pas été le cas il y a un an ou deux.» Car selon lui, la dynamique de la COP 21 a entraîné des changements culturels. «Il y a un avant-Paris, et un après-Paris, c'est certain. Mais bien sûr, l'accord ne va pas, tout seul, changer la donne. Cet accord n'est d'ailleurs pas une cause du changement, mais une conséquence du changement.»
Le charbon s’effondre
Autre tendance forte : l'effondrement du cours des charbonniers partout dans le monde. Lors des trois dernières années, de nombreux producteurs de charbon ont perdu jusqu'à 80 % de leur valeur boursière. Le 13 avril, Peabody Energy, le leader américain, a même déposé le bilan. C'est le 50e charbonnier, et le plus gros, à faire faillite aux Etats-Unis depuis le début de la crise du charbon en 2012. Dans le même temps, plusieurs pays européens ont tourné le dos à l'énergie fossile la plus sale (très émettrice en CO2 lors de son extraction et de sa combustion). Après Chypre, Malte, le Luxembourg, la Belgique et l'Ecosse ont fermé leurs dernières centrales à charbon fin mars. Selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la part du charbon a chuté de 41 % à 30 % dans le mix électrique mondial. «Les énergies renouvelables hors hydroélectricité augmentent en proportion, tandis que le gaz, le nucléaire et l'hydroélectricité conservent dans l'ensemble leur part actuelle», note le rapport.
Les efforts de la Chine
L'AIE l'a confirmé mi-mars : les émissions mondiales de gaz carbonique en provenance du secteur de l'énergie ont stagné en 2015 pour la deuxième année consécutive. «Les données sont à confirmer, mais c'est une information encourageante, et clairement liée à la baisse de la consommation de charbon en Chine», précise Célia Gautier de RAC. Les décisions industrielles et énergétiques du premier émetteur de gaz à effet de serre au monde ont de fait un impact considérable. Alors quand la Chine annonce un plan quinquennal plus ambitieux que sa contribution nationale (ces engagements mis sur la table pour la COP 21, les INDC), les ONG applaudissent. Baisse de 15 % de l'intensité énergétique (consommation d'énergie rapportée au PIB) en 2020 par rapport à 2015, plafond de consommation d'énergie fixé à 5 milliards de tonnes équivalent charbon (TEC), objectif de 15 % d'énergies non fossiles dans la consommation totale d'ici à 2020… «L'accélération de Pékin, c'est un signal fort, appuie Pascal Canfin. La Chine a prévu son pic carbone en 2030, mais elle pourrait y arriver dès 2025. Elle ne ferme pas ses centrales à charbon à tour de bras pour faire plaisir aux Etats-Unis, mais parce qu'elle a d'immenses défis à relever en matière de qualité de l'air.»
L’arrêt de la frénésie exploratoire
Le bas prix du pétrole, qui a bien sûr d'autres effets néfastes, a rendu non compétitifs toute une série de projets d'exploration et d'exploitation, notamment en eaux profondes. «Entre 2008 et 2013, il y a eu une frénésie extractive sur toute la planète, rappelle l'économiste Maxime Combes, membre d'Attac et auteur de Sortons de l'âge des fossiles. Ce frein subsistera tant que le prix du pétrole restera bas, et que ces projets ne seront pas assez rémunérateurs. Les bonnes nouvelles sur le front du climat sont, finalement, assez déconnectées de l'accord de Paris…»
MOINS
La révision des engagements
C'était l'une des conditions de l'adoption de l'accord de Paris, en décembre au Bourget, et une promesse réaffirmée par de nombreux chefs d'Etat : que les pays se remettent rapidement autour de la table, d'ici à 2018, pour prendre de nouveaux engagements, en termes de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) ou de financement. En l'état, les engagements des pays, les INDC, sont insuffisants pour tenir le cap d'une hausse maximum de 2°C de la température mondiale. «Cette idée semble abandonnée par plusieurs pays», regrette Célia Gautier, du RAC. Et en premier lieu l'Europe, qui a décidé de ne pas revoir ses engagements - réduction de 40 % de ses émissions de GES d'ici à 2030 par rapport à 1990 - à la hausse. «Pour nous, la société civile, c'est très clair : l'un des tests de crédibilité de l'accord de Paris, c'est de voir si les contributions des Etats sont revues à la hausse, reprend Célia Gautier. Rien ne montre une dynamique en Europe, alors qu'on voit la Chine prendre les devants. Là, on est en plein dans la bataille de l'interprétation de l'accord, et chacun essaye de revenir à ses intérêts nationaux.»
Le problème Europe
A la pointe du combat climatique pendant les deux dernières décennies, l'Europe est en train de perdre son leadership. L'UE, qui négocie en bloc au sein de la convention climat de l'ONU, a d'ailleurs été extrêmement discrète pendant toute la durée de la COP 21… Pour Pascal Canfin, «on ne peut que s'attrister d'un tel gâchis : on a les technologies, les brevets, les moyens humains, on est le continent le plus pauvre en ressources fossiles, ce qui devrait naturellement nous amener vers les renouvelables. Mais à 28 Etats, il y a trop de blocages politiques.» Venant notamment des Etats très charbonniers, comme la Pologne. Du coup, l'UE considère pouvoir se satisfaire des législations votées en 2014. «La Pologne a bon dos, mais beaucoup d'Etats européens ne veulent pas rouvrir la boîte de Pandore, insiste Maxime Combes, d'Attac. On n'a même pas commencé à discuter de la répartition des efforts de réduction d'émissions entre les pays de l'UE…» Ce qui risque de ne pas être une mince affaire. Pour Maxime Combes, il faudrait mettre en place une «coopération renforcée» entre les Etats leaders sur le climat (France, Allemagne, Danemark…), comme c'est le cas pour la taxe sur les transactions financières.
Le marché carbone européen dans l’impasse
L'un des seuls outils de régulation communautaire, le marché carbone européen (un mécanisme de droits d'émissions de CO2 lancé en 2005), est dans une impasse. Il est même «complètement dysfonctionnel», juge Maxime Combes : au lendemain de l'adoption de l'accord de Paris, la tonne de CO2 est passée de 8 à 5 euros. Elle devrait être à 20 ou 30 euros pour avoir un impact sur les émissions. «Il y a trop de permis à polluer en circulation, regrette l'économiste. Ce n'est pas une réformette du marché qu'il faut faire, mais une remise à plat totale.»
Un manque de volonté politique
Pour réformer le marché carbone européen, comme pour faire avancer la transition énergétique dans le monde, une seule solution : une forte volonté politique. Pour Maxime Combes, «on ne peut pas faire transiter les presque mille milliards investis chaque année dans le secteur fossile vers les renouvelables sans une très forte incitation politique». Or, pour l'instant, les signaux ne sont pas très encourageants. Exemple, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui vient de casser un dispositif de soutien aux renouvelables en Inde car il était plus favorable aux entreprises locales qu'aux multinationales. Une décision «symptomatique de la dichotomie entre la "climatisation" du monde un jour, puis la relégation de cette même question au second plan le lendemain, regrette Combes. Les pays sont coincés par des outils qu'ils ont eux-mêmes créés.» Autre exemple, le sommet de Pau sur l'extraction offshore, début avril, qui a fortement mobilisé la société civile. «Un sommet comme ça, organisé en France trois mois après l'accord de Paris, montre bien que les pétroliers, les gaziers, font comme si il n'y avait jamais eu de COP 21 , déplore Célia Gautier. Et le gouvernement français, lui, n'a pas bougé.»
La ratification comme seul objectif
Après New York, il y aura Bonn, en mai, pour la seule séquence de négociations de la Convention cadre des Nations unies sur le climat (CCNUCC) cette année. Puis la COP 22, en novembre à Marrakech. «Ce qui compte pour la France [Ségolène Royal préside désormais la COP 21, ndlr], c'est de valoriser toute cette année la photo de l'accord de Paris, avec tous les chefs d'Etat, ironise Maxime Combes. La ratification, pour la France, c'est une fin en soit, ça suffit pour donner l'impression de boucler la boucle.» Alors que ce n'est qu'un début. Les enjeux de la mise en application de l'accord de Paris sont immenses : hausses des ambitions des Etats, méthodes de comptabilisation des émissions, mobilisation des financements, notamment pour aider les pays en développement à s'adapter au changement climatique… Comme a ironisé la patronne de la CCNUCC, Christiana Figueres, en janvier : «La COP 21 a été un succès. Mais ça, c'était la partie facile.»