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Libération
EDITORIAL

Grains de sable

publié le 24 avril 2016 à 21h21

Leurs visages s'étalent sur les cinq pages de notre dossier. On les nomme lanceurs d'alerte, whistleblowers ; ils sont américains, français… Ils s'appellent Deltour, Karski, Snowden. Parfois leurs stratégies diffèrent : il y a ceux qui, après avoir levé le voile sur d'inavouables secrets, ont fui leur pays, par peur ; et il y a ceux qui sont restés pour se défendre ; ceux qui ont utilisé la presse, ou qui ont écrit des livres ; ceux qui sont restés anonymes… Parfois, on ne sait pas ce qui les a poussés à ouvrir grand les portes du secret. Avaient-ils un objectif caché ? Se sont-ils tous levés un matin pour se délester d'un poids trop lourd sur la conscience ? Se replonger dans l'histoire, chercher la lignée de ses hommes et de ces femmes-là est nécessaire. Le temps long nous aide à juger l'importance de ce qu'ils ont mis en lumière et à comprendre qui ils sont, ce qu'ils sont, et ce qu'ils racontent du monde d'aujourd'hui. Ils ne sont pas forcément des consciences du monde, mais ils accompagnent la prise de conscience des maux du nouveau siècle : l'hyper-surveillance, le «big pharma» et ses maxi-profits, le capitalisme financier tellement puissant qu'il échappe à toute régulation… Les révélations des Panama Papers sur l'évasion fiscale, les écoutes de la NSA, avec leur gigantesque volume de données, montrent aussi ce monde de plus en plus complexe qui dépense de plus en plus pour se protéger - soustraire ? - des curiosités et du contrôle démocratique. Les lanceurs d'alerte sont les grains de sable dans ces machines qui feront tout pour les broyer. Il convient de les distinguer des escrocs et des délateurs, puis d'apporter à ces vigies d'un espace démocratique en voie de réduction une nécessaire protection. Qui commence par rappeler aux procureurs que le coupable n'est pas dans le box des accusés, comme le sera Antoine Deltour, mardi à Luxembourg.