Ils pleurent, s'enlacent, éclatent nerveusement de rire et applaudissent à tout rompre. Avant de fondre encore en larmes, dont le flot ne s'est jamais tari depuis 1989. Vingt-sept ans de deuil, de lutte pour obtenir justice et finalement, mardi, ce verdict unanime. Qui officialise un catalogue impressionnant de négligences et les multiples tentatives des autorités pour étouffer la vérité. Il y a eu un 15 avril 1989. Il y aura désormais un 26 avril 2016. Ce mardi, justice a été rendue aux 96 supporteurs du Liverpool FC, morts il y a vingt-sept ans, écrasés et étouffés dans le stade de Hillsborough à Sheffield . «Je pense que nous avons marqué l'histoire aujourd'hui», a déclaré, en larmes, Margaret Aspinall, dont le fils de 18 ans, James, est mort ce jour-là.
Hymne. James et les autres étaient venus en chantant, heureux et si fiers de venir soutenir leur équipe fétiche pour une demi-finale de Coupe d'Angleterre face à Nottingham Forest. Ce devait être un jour de fête. Ce fut une tragédie. Les 54 000 billets disponibles avaient été vendus, 24 000 aux fans de Liverpool et 29 000 à ceux de Nottingham. 10 100 billets étaient pour les terraces, ces emplacements au pied des tribunes où les spectateurs se tenaient debout. Elles ont été interdites depuis. Ces quelque 10 000 supporters accédaient au stade par sept petits tourniquets. Dans les heures qui précèdent le match, le passage se fait au compte-gouttes. A 14 heures, à une heure du coup d'envoi, plus de 8 000 supporteurs attendent encore de passer. A 14 h 45, il en reste encore 4 000 dehors. La police décide de ne pas retarder le coup d'envoi, sifflé à 14 h 59. Elle arrête le match à 15 h 06. La pression du public fait alors tomber les barrières qui séparent les terraces, écrasant des supporteurs, en projetant d'autres vers l'avant. La police tarde à déclarer un «incident majeur», retardant ainsi l'arrivée des secours. Quatre-vingt-seize personnes meurent (la dernière en 1993, après quatre ans de coma), la plupart étouffés. La plus jeune victime a 10 ans, la plus âgée 67. Mardi, en haut des marches à la sortie du tribunal de Warrington (nord-ouest de l'Angleterre), ce sont leurs frères, sœurs, cousins, enfants et parents qui ont formé une grappe humaine avant d'entonner You'll Never Walk Alone (Tu ne marcheras jamais seul), l'hymne du Liverpool FC.
Depuis ce 15 avril 1989 et, quelques mois plus tard, un premier verdict de «mort accidentelle» invraisemblable pour les proches, ils se sont battus ensemble pour que justice soit faite. «We did it !» (On l'a fait !), s'est écrié, bouleversé, Trevor Hicks, dont les deux filles adolescentes, Sarah et Vicky, sont mortes dans la tragédie. Après deux ans d'audition où tous les aspects du drame ont été abordés, le jury de neuf personnes a rendu un verdict sans équivoque. Les 96 victimes ne «sont pas mortes de mort accidentelle» mais à la suite d'un «unlawful killing». Ce terme légal anglais signifie qu'une main extérieure a provoqué la mort d'une personne. Cette main extérieure s'avère être celle de la police du Yorkshire, lourdement mise en cause pour son absence de préparation, de réaction et sa négligence. Le commandant en charge de la sécurité pour le match a été accusé d'être «responsable d'homicides en raison d'énormes négligences». Outre la police, les services de secours, notamment les ambulances, ont été également accusés de négligence.
Opprobre. En revanche, et c'est un autre moment extraordinaire des conclusions de cette enquête, les supporteurs de Liverpool, longtemps mis au ban après le drame du Heysel, en 1985, ont été exonérés de toute responsabilité dans la tragédie. A l'horreur de perdre leurs proches, les familles des victimes, le club de Liverpool et ses fans ont subi, pendant des années, l'opprobre, accusés d'avoir, par leur attitude agressive et alcoolisée, contribué au drame. La police a notamment falsifié ou transformé une série de témoignages, pour faire peser la responsabilité sur les spectateurs. En 2009, une révision des circonstances de la tragédie avait été ordonnée. Un premier rapport accablant, en 2012, avait entraîné l'ouverture de l'enquête dont les conclusions ont été communiquées ce mardi. David Cameron a salué «le courage extraordinaire» des proches des victimes «dans leur quête pour la vérité». La police, qui a continué jusqu'aux délibérations à tenter de blâmer les supporteurs, a présenté ses «plus profondes excuses». «Honte n'est pas un mot assez fort pour qualifier ce qui s'est passé pendant si longtemps», a dit Trevor Hicks, le père de Sarah et Vicky.