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Libération
Interview

«Il peut y avoir une contagion positive à la région»

publié le 29 avril 2016 à 18h41

Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, évoque l'autoritarisme des régimes dans la région.

Cette crise constitue-t-elle un renouveau des «printemps balkaniques» ?

Au-delà du contexte spécifique de la Macédoine, où les mouvements sociaux sont récurrents depuis deux ans, il y a depuis quelques années des dynamiques nouvelles. On n’est plus ni dans les Balkans en guerre du début des années 90 ni dans l’après-guerre. Les débats et les querelles des années 90 n’ont plus de sens pour les jeunes qui manifestent à Skopje ou à Sarajevo. Par ailleurs, dans les années 2000, l’intégration européenne était une perspective politique qui semblait claire pour les pays des Balkans. Mais aujourd’hui, le processus d’intégration est totalement en panne et a cessé d’être mobilisateur. Dans tous les pays de la région, notamment en Macédoine, encore plus en Serbie, au Monténégro, au Kosovo, les régimes se prétendent proeuropéens, mais sont de plus en plus autoritaires.

Quelle est la position de l’UE ?

Du côté de Bruxelles, on accepte ces régimes au nom de la stabilité régionale. Il vaut mieux que rien ne bouge plutôt que d’ouvrir Dieu sait quelle boîte de Pandore. Sauf que l’on ne peut pas proposer longtemps à des sociétés l’immobilisme comme seule perspective. Mais le mécontentement croissant a beaucoup de mal à s’exprimer, car il n’y a pas de forces politiques capables d’articuler un nouveau projet alors que la situation socio-économique est catastrophique. La formule «privatisations massives-investissements étrangers» promue par les Européens dans les années 2000 n’a abouti à rien. Le chômage réel frôle la barre des 50 %.

La société civile peut-elle faire émerger une nouvelle force politique ?

Dans les années 90 et surtout 2000, il y a eu énormément d’argent international investi dans la construction d’une sorte de société civile «hors sol», qui a pu jouer un rôle positif majeur, par exemple en ce qui concerne la collaboration avec le tribunal international pour juger les criminels de guerre. Mais ce qui tient lieu aujourd’hui de société civile, ce sont des gens vieillissants, des «professionnels de la société civile» depuis un quart de siècle, et donc peu crédibles par rapport aux enjeux actuels.

La Macédoine peut-elle enflammer la région ?

Il peut y avoir une contagion positive : des gens en Serbie ou au Monténégro peuvent se révolter à la suite des Macédoniens. Mais d’un autre côté, le risque est que l’ex-Premier ministre Nikola Gruevski rejoue l’une des dernières cartes qui lui restent, celle des tensions interethniques, la carte albanaise. Il y aura alors un danger de déstabilisation du Kosovo, au moins. Les divisions interethniques peuvent toujours resurgir dans la région.