Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Huitième épisode : avril 2016. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Billet vert. C'est une femme, elle est noire, et, pour la première fois aux Etats-Unis, elle aura un billet à son effigie. Le visage d'Harriet Tubman, ancienne esclave, militante abolitionniste, et combattante dans la guerre de Sécession, a été choisi pour illustrer les billets de 20 dollars. Jusqu'ici, des femmes avaient bien figuré sur les billets verts, mais jamais une femme noire n'avait été sélectionnée pour incarner, à elle seule, la devise américaine.
Egalité des salaires. Une autre bonne nouvelle (message de service : ne vous réjouissez pas trop vite, on va bientôt passer aux mauvaises) : le candidat démocrate aux primaires américaines Bernie Sanders s'est clairement engagé pour l'égalité salariale. «L'égalité des salaires est une question d'égalité basique, ce n'est pas une idée radicale», a-t-il insisté. Dommage qu'il n'ait quasi aucune chance de l'emporter contre sa rivale Clinton…
Women in America want the whole damn dollar. And they're right. Equal pay is an issue of basic equality not a radical idea.
— Bernie Sanders (@SenSanders) April 14, 2016
Toilettes. Troisième bonne nouvelle, et vous n'allez sans doute pas en revenir : le candidat républicain aux primaires américaines et sexiste notoire Donald Trump a soutenu l'accès des personnes transgenres ou transsexuels aux toilettes qui correspondent à leur genre de vie et non de naissance, alors que la question ne cesse de faire polémique aux Etats-Unis, notamment en Caroline du Nord (qui a fait passer une loi pour obliger les gens à utiliser les toilettes correspondant à leur genre assigné à la naissance). Les personnes trans devraient pouvoir utiliser les WC qu'elles souhaitent, a déclaré en substance l'homme d'affaires, pourtant habitué des déclarations embarrassantes et populistes. Comme quoi, tout arrive.
Libérer le corps des femmes des injonctions
Corps. Comme si les petites filles n'allaient pas subir assez tôt dans leur vie les injonctions diverses et variées autour de leur apparence physique, Playmobil a cru bon de publier sur sa page Facebook une image mettant en scène des figurines mangeant des glaces et s'inquiétant de l'aspect qu'aura leur corps sur la plage cet été (on vous avait dit que les bonnes nouvelles n'allaient pas durer). C'est en tout cas ce que l'on comprend du commentaire qui accompagne la photo : «Epreuve du maillot de bain dans quelques semaines… Il est temps de manger équilibré.» La marque de jouets a, on peut s'en douter, provoqué un tollé et présenté des excuses. La prochaine fois, ce serait aussi bien d'éviter. Comme le dit très bien cette image qui circule sur les réseaux sociaux en ce moment : «Comment avoir un "corps de plage" : 1. Avoir un corps, 2. Aller à la plage». Il faudrait peut-être passer le message à ces jeunes mamans américaines qui se ruinent en chirurgie esthétique pour pouvoir rivaliser avec les festivalières en microshort de Coachella (oui, vous avez bien lu).
Voile. Toujours sur les femmes et leur corps, les propos de la ministre des Familles et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, où elle avait amalgamé esclaves et femmes voilées (et qui pourrait lui valoir un passage devant la justice), ont beaucoup fait réagir en avril. Les principales intéressées d'abord. Cinq femmes qui portent le foulard, lassées d'être présentées comme «soumises» ou «aliénées», ont ainsi signé une tribune sur Mediapart. «En minijupe, ou portant le foulard, la libération et l'émancipation appartiennent aux femmes dans leur pluralité et leur diversité», écrivent-elles. Signalons aussi cette tribune d'Esther Benbassa, parue dans nos pages, et intitulée «le voile, pas plus aliénant que la minijupe». Le propos de la sénatrice EE-LV : le droit de disposer librement de son corps s'applique à toutes les femmes, quelle que soit leur confession, et celles qui portent des «vêtements sexy imposés par la mode (souvent créée par des hommes) ne sont pas non plus spécialement "émancipées"». Laurence Rossignol, de son côté, a accepté un long entretien au Bondy Blog. Elle revient sur la polémique, c'est diablement intéressant, et à lire ici.
Vote des femmes. Il y a soixante et onze ans, les femmes françaises votaient pour la première fois (même si elles y avaient été théoriquement autorisées un an auparavant). Mais doit-on vraiment célébrer le général de Gaulle pour cela, ou plutôt l'assemblée qui a voté en ce sens ? On y répond ici.
Disparition. «C'est un personnage des romans révolutionnaires de l'entre-deux-guerres». Née il y a 79 ans, Maya Surduts, militante historique du droit à l'IVG, était une féministe indocile. Elle est morte subitement le 13 avril. En 1995, elle disait à Libération : «Le féminisme est discrédité comme la révolution, parce qu'il signifie une remise en cause profonde de la société. Les jeunes femmes n'ont pas suivi, parce qu'elles croient qu'elles ont tout ; mais elles se trompent : les lois Pasqua, c'est Le Pen un peu beaucoup, et le lobby anti-avortement et tout le reste, c'est aussi Le Pen un peu beaucoup…»
L’accès des jeunes à la contraception plus difficile en Ile-de-France ?
C’est la question qu’on se pose depuis le 7 avril, et le vote de la suppression du Pass' contraception par le conseil régional (désormais LR) d’Ile-de-France. La gauche comme la droite s’accusent mutuellement d’être responsables de la fin de ce carnet de coupons, mis en place dans la région en 2011, et qui permet aux lycéens d’obtenir des contraceptifs, consultations ou tests de dépistage gratuitement. La décision a provoqué l’ire des assos, Planning familial en tête (leur argument : si le dispositif était un échec, il fallait l’étendre plutôt que de l’enterrer), mais tout n’est pas perdu : la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a annoncé en parallèle une future loi sur la contraception pour les jeunes – qui, pour l’instant, n’inclut cependant pas les jeunes majeures et les garçons. On résume la situation dans un article maison à lire ici.
Ce mois-ci, on a aussi beaucoup entendu parler de cette pratique pas nouvelle, sur laquelle le mouvement Nuit debout a donné un coup de projecteur : les réunions non mixtes. BuzzFeed revient ici sur ces réunions, déjà utilisées par le MLF dans les années 70 en France, et dès les années 60 par les militants afro-américains aux Etats-Unis, et détaille les arguments des pro – libérer la parole des discriminés (femmes, noirs, gays, trans…), sans autocensure – et des anti – qui leur reprochent d'être excluantes.
Le basket féminin snobé, la Ligue 1 commentée par une femme
Le 6 avril, Bourges affrontait Villeneuve-d'Ascq (près de Lille) en finale de l'Eurocoupe féminine de basket. Vous n'êtes pas au courant ? C'est normal, cette finale européenne 100 % française, fait pourtant rare, a été snobée par la télévision nationale, une absence remarquée par les Nouvelles News, et symbole du manque de visibilité du sport féminin. Le match a finalement été retransmis par une chaîne locale.
Outre-Manche, des voix commencent à s'élever pour dénoncer le sexisme dans le milieu du cyclisme professionnel. L'ex-championne d'Europe Jess Varnish, exclue de la sélection olympique, accuse le patron du cyclisme britannique de lui avoir dit de «passer à autre chose et d'aller faire un enfant» (entre autres remarques graveleuses sur son arrière-train). Le principal intéressé, Shane Sutton, nie en bloc, mais a été suspendu par la fédération, et une enquête interne a été ouverte. Jess Varnish a reçu le soutien de la double championne olympique Victoria Pendleton : «Je ne me suis jamais sentie aussi respectée que mes collègues masculins […] Mon avis ne valait pas autant que le leur», témoigne la coureuse au Telegraph, avant d'ajouter : «On se demande pourquoi aucune femme n'occupe de poste de pouvoir au sein de l'organisation.»
Côté football, on passera sur les banderoles sexistes contre Margarita Louis-Dreyfus, propriétaire de l’Olympique de Marseille (qui a quand même eu droit à un pas du tout rétrograde «Retourne à ton vrai métier, femme au foyer» en plein match contre Bordeaux), pour ne retenir que cette bonne nouvelle : Gaëtane Thiney, l’attaquante de Juvisy (Essonne) et des Bleues, est devenue la première femme à commenter des matches de Ligue 1. «Avec parcimonie» pour le moment, nous dit l’Equipe, mais c’est déjà un premier pas. (Photo AFP)
Bad news
Avant de passer aux vidéos repérées ce mois-ci, un petit tour du monde, pas très réjouissant, des mauvaises nouvelles du mois (non, on ne parlera pas de la mort de Prince, mais vous pouvez retrouver tous nos articles sur le sujet ici). On va essayer de faire rapide, histoire de pas trop avoir envie de se pendre. Les journalistes femmes sont celles qui sont les plus insultées dans les commentaires laissés sur le site du Guardian. Aux Philippines, le favori de la présidentielle a plaisanté sur le viol et le meurtre d'une Australienne, sauf que, dommage pour lui, la séquence a été filmée. A Belfast, une jeune femme de 21 ans a été condamnée à trois mois de prison avec sursis pour avoir avorté, après avoir été dénoncée par ses colocataires, car en Irlande du Nord, l'avortement, même en cas de viol, est passible de la prison à vie, en vertu d'une loi datant de 1861. Au Népal, des milliers de femmes sont rejetées lors de leurs règles et dorment dans des étables. Cette tradition, le Chhaupadi, est pourtant interdite depuis 2005 dans le pays. Et en France, en 2016, Paris Match parle des «jambes» de présentatrices télé, le jury du festival du Cannes est vu comme «très féminin» parce que presque paritaire, toujours aucune écrivaine ne figure dans le programme de littérature du Bac L, et un QCM d'examen blanc de médecine tourne en dérision une agression sexuelle (comme le montre ce tweet).
«Culture du viol», inversion des rôles… Les vidéos du mois
On termine avec une petite sélection de vidéos repérées ce mois-ci. La première, édifiante, a été réalisée par des étudiantes en école de commerce, et montre à quel point «la culture du viol» est ancrée dans notre inconscient collectif, y compris chez les femmes. En tenues plus ou moins légères, elles interpellent les passants dans les rues de Dijon, en leur demandant, écriteau en main : «Ma façon de m'habiller mérite-t-elle de me faire agresser ?» Non, même une jupe, aussi courte soit-elle, ne justifie pas une agression ou un viol. Ce n'est malheureusement pas l'avis de plusieurs passants et passantes, interviewés en fond sonore.
Plus léger, on a découvert ce mois-ci la websérie Martin, sexe faible, des épisodes de 3 minutes dans lequel on suit Martin donc, dans un monde où les femmes ont le pouvoir et où les rapports hommes-femmes sont inversés. Harcèlement de rue, discrimination au travail, pression de la maternité… Tout y passe, et c'est plutôt bien vu, comme cette consultation chez une «andrologue» bien lourdingue. Les sept autres épisodes sont à voir ici.
Et une dernière pour la route, en anglais cette fois, diffusée fin mars (on l'avait loupée dans l'épisode précédent). Le pitch : les femmes sont si bêtes qu'elles ont besoin d'hommes pour leur expliquer la vie, à travers une hotline téléphonique. Evidemment, c'est ironique, et il s'agit en fait de se moquer du «mansplaining» ou de la «mexplication», tendance qu'ont de nombreux hommes à expliquer la vie, mais surtout la vie des femmes… aux femmes elles-mêmes. Savoureux.
Watch this clip and the new #PartyOverHere so you can mansplain it to us. We totally need your help with it.https://t.co/Mqk7slmg9T
— Party Over Here (@PartyOverHere) March 21, 2016
A lire ailleurs
Nous vous proposons, chaque mois, une sélection d'articles et de reportages repérés ailleurs dans la presse, à la radio, et sur le Web.
• France Inter racontait ce mois-ci l'histoire d'un directeur d'école suédois qui allait devoir répondre face à la justice de son refus d'appeler une femme candidate à un poste d'enseignante par le pronom neutre «hon», alors qu'elle l'utilisait, elle, explicitement. Dit comme ça, ça a l'air un peu extrême, mais en fait pas du tout : la loi suédoise ne plaisante simplement pas avec l'égalité des genres, et c'est une bonne nouvelle. Toute l'histoire est à écouter ici.
• Pourquoi attend-t-on des femmes qu'elles sourient, alors que les hommes peuvent faire la gueule sans qu'aucune réflexion ne leur soit faite ? C'est la question que pose la journaliste Nadia Daam sur Slate, lassée d'être sans cesse incitée à «allez, fais un petit sourire, c'est quand même plus agréable hein» et autres lourdingueries. Sur le même sujet, vous pouvez aussi lire (en anglais) cet article du Washington Post sur le deux poids, deux mesures hommes-femmes concernant la politesse (là où les hommes ne sont pas censés être particulièrement polis, on demande aux femmes de l'être).
• Une jeune femme va se présenter au Congrès américain, et, si elle est élue, elle serait la plus jeune personne, a fortiori la plus jeune femme, élue dans une telle assemblée. Et c'est en voyant sa propre mère mener campagne sur des sujets de santé que la jeune femme a compris qu'elle aussi pouvait s'engager. Cosmopolitan en parle, en anglais, ici.
• Toujours en anglais, on vous recommande également la lecture de l'article «Feminism for sale» («féminisme à vendre»), publié sur le site du magazine New Republic, qui interroge cette fascination pour le féminisme «sexy» et vendeur de la pop culture façon Beyoncé, Lena Dunham ou Emma Watson. La journaliste Sarah Jaffe n'y remet pas en cause l'engagement de ces icônes, mais plutôt leur capacité à «changer le monde» : «Le féminisme, dernièrement connaît une crise d'identité […], écrit-elle. Au cœur de cette crise, la question est de savoir si le féminisme signifie la réussite de quelques-unes, qui parviennent à gravir l'échelle de la richesse et du pouvoir, ou s'il s'agit de changer fondamentalement la façon dont cette richesse et ce pouvoir sont redistribués, pour qu'il n'y ait plus besoin d'une telle échelle.»
• «Le souci de la pudeur vire trop souvent à l'obsession. Comment les extrémistes religieux en sont-ils venus à kidnapper cette notion ? Et pourquoi la pudeur devrait-elle être réservée aux femmes plutôt qu'aux hommes ?» Les Nouveaux chemins de la connaissance, diffusé sur France Culture, proposait en avril une émission intéressante autour du rapport entre pudeur et féminité. C'est à réécouter en cliquant ici.
• Si vous souhaitez prolonger la réflexion autour du «hijab day» et du port du voile comme acte de solidarité avec les femmes qui le portent, jetez donc un oeil à cette tribune publiée dans le Washington Post par deux femmes musulmanes, qui demandent aux autres femmes (et hommes) de, justement, ne pas porter le foulard dans ce but. Et elles expliquent très bien, (en anglais), pourquoi.
• Comment les sexualités des femmes sont-elles représentées dans les séries, et pourquoi la télé est-elle souvent plus en avance que le cinéma dans le traitement de cette thématique ? C'est ce qu'Iris Brey, auteure de Sex and the séries, raconte dans l'émission de France Inter, l'Instant M. Passionnante autant qu'amusante, cette édition est à écouter ici.
• Tant qu'on est à parler cul, n'hésitez pas à jeter un œil à cette interview de Camille Emmanuelle (lire notre portrait ici), auteure et journaliste qui interroge notre relation au sexe, et particulièrement la façon dont notre culture fait de la pénétration l'alpha et l'omega des rapports sexuels. Les Inrocks l'ont interviewée à l'occasion de la sortie de son livre Sexpowerment – le sexe libère la femme (et l'homme). C'est à lire ici.