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Ioukos

Le centre culturel russe à Paris, un Kremlin-sur-Seine ?

La justice a débouté la compagnie pétrolière Ioukos, dans le collimateur de Poutine, qui avait tenté de saisir le bâtiment en chantier. Le tribunal de grande instance a reconnu que Moscou bénéficiait d'un «droit de chapelle» sur le centre.

La pose du dôme sur la future cathédrale orthodoxe russe de Paris, le 19 mars. (Photo François Guillot. AFP)
Publié le 01/05/2016 à 17h39

Le futur Centre culturel et spirituel orthodoxe, actuellement en chantier à proximité de la tour Eiffel, va «assurer le rayonnement de la Fédération de Russie» et à ce titre «relèvera directement de la souveraineté de l'Etat russe». Ainsi en a décidé en fin de semaine dernière le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Les anciens actionnaires de la compagnie Ioukos avaient tenté de saisir ce bien (terrain et murs en construction, dans les anciens locaux de Météo France) en vertu d'une sentence arbitrale internationale, que la Russie a temporairement réussi à annuler (Libération du 21 avril). Ils plaidaient que cet ensemble ne relèverait pas d'un bien diplomatique – impossible à saisir en tant que tel – mais d'une activité parallèle ne relevant pas de sa «souveraineté». Raté.

Ce centre sera composé d'une église orthodoxe (dont le spectaculaire dôme vient d'être posé par hélicoptère), d'une salle de concert, d'une école bilingue francorusse pouvant accueillir 150 enfants. Et d'une «cafétéria à la russe», prétexte pour y déceler une démarche plus commerciale que diplomatique… En face, la Russie plaidait l'application du «droit de chapelle», consacré par une antique jurisprudence française. Soit «le privilège de faire construire une chapelle pour la mission diplomatique et d'en faire usage, admis par un arrêt de la cour d'appel de Paris dès 1924.» Bouygues, en charge du chantier, plaidait également la frontière poreuse entre l'Eglise et l'Etat russe : «Mettre en œuvre des activités culturelles, éducatives et religieuses relève de la souveraineté.»

«Un caractère éminemment cultuel»

En ligne avec la position du parquet, le TGI a ainsi validé cette vision extensive du champ diplomatique (tout comme un récent cavalier législatif glissé dans la loi Sapin) : «L'ensemble immobilier à construire revêt un caractère éminemment cultuel, qui vise indéniablement à permettre à la Fédération de Russie d'exercer sa souveraineté d'Etat.» A Moscou, Andrey Kondakov, qui coordonne la protection des avoirs russes à travers le monde menacés par l'arbitrage Ioukos, s'est benoîtement félicité de cette décision judiciaire, avec la diplomatie en arrière-plan : «L'inauguration du centre spirituel et culturel orthodoxe russe en octobre, en présence de Vladimir Poutine et de François Hollande, sera un moment important dans l'histoire de l'amitié qui lie nos deux pays.»