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Loi biodiversité

Les Guaranis ont découvert la stévia, mais PepsiCo et Coca encaissent les bénéfices

Cet édulcorant découvert par une tribu amérindienne a été breveté par plusieurs entreprises de l'agroalimentaire. La loi biodiversité actuellement au Sénat se penche sur ce cas de biopiraterie, et ce n'est pas le seul.

Coca-Cola Life contient 30% de stévia, une plante découverte par une tribu amérindienne qui ne touche pas un kopeck pour cette trouvaille. (AFP)
Par
Rouguyata Sall
Publié le 02/05/2016 à 15h41

On la trouve dans les canettes de Coca-Cola Life ou de Pepsi Next. Elle se vend également en poudre pour égayer votre café. Autorisée en France depuis 2009, la stévia n’est pas passée de mode. Présentée comme une nouveauté en matière d’édulcorant naturel, la plante qui fournit la stévia est connue depuis longtemps des Guaranis, ce peuple amérindien qui a découvert le pouvoir sucrant de cette herbe sauvage du Paraguay. Ils l’utilisent notamment pour sucrer et adoucir leur maté, une infusion amère très consommée en Amérique latine.

Aujourd’hui, 6 000 tonnes de stévia sont produites par an. Avec son pouvoir sucrant 300 fois supérieur au sucre traditionnel pour zéro calorie, c’est un atout de poids pour les industriels, souvent accusés de favoriser l’obésité. Et pourtant, les Guaranis ne touchent pas un centime sur ces nombreuses utilisations. S’ils avaient déposé un brevet, ils seraient aujourd’hui considérés comme les inventeurs de la stévia, et auraient pu protéger leur découverte pour une durée maximale de 20 ans et tirer des bénéfices de toute utilisation commerciale.

140 demandes de brevet autour de la stévia

Si les Guaranis n'ont pas déposé de demande de brevet des entreprises n'ont pas manqué de le faire. Selon un décompte effectué par Libération, depuis 1985, 140 demandes de brevets contenant l'occurrence stévia ou glycosides de stéviol ont été déposées à l'Office européen des brevets. Ces brevets concernent des compositions à base de stévia, des boissons, des médicaments ou des procédés de purification.

Sur les 140 demandes, 45 ont été refusées par l’organisme ou retirées par l’entreprise, et 85 sont en cours d’examen. Six autres devraient obtenir le brevet et quatre l’ont déjà obtenu. Parmi les entreprises déposantes, on trouve PureCircle USA, un des leaders mondiaux de la production d’ingrédients à base de stévia qui a parfois déposé une demande avec Coca-Cola ou encore une filiale de PepsiCo – l’entreprise qui fabrique le Pepsi – ou Tereos France, troisième groupe sucrier au monde ou Cargill, un géant agroalimentaire américain qui fournit des ingrédients à d’autres industriels.

En espérant se faire de l’argent avec des brevets sur un dérivé d’une plante, ces entreprises peuvent être considérées comme des pirates qui privatisent le vivant. Les défenseurs des droits humains utilisent d’ailleurs le terme biopiraterie pour décrire le comportement des multinationales qui s’approprient les connaissances traditionnelles des peuples autochtones. Sans partage des bénéfices, bien sûr.

L’IRD souhaite breveter une molécule utilisée depuis des siècles

Mais les connaissances des Guaranis ne sont pas les seules à être pillées par les multinationales. La fondation France Libertés - Danielle Mitterrand, très active sur la biopiraterie, a ainsi médiatisé le cas de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Cet organisme souhaite en effet breveter une molécule issue d'une plante utilisée depuis des siècles pour lutter contre le paludisme. Notamment par des populations autochtones de Guyane qui utilisent Quassia amara à cette fin. En les interrogeant et en se basant sur leurs savoirs, l'IRD a déposé une demande de brevet de la molécule tirée de la plante, sans rétribuer ni demander leur avis aux autochtones guyanais.

Timide amorce dans la loi biodiversité

Pour éviter les abus, le gouvernement s'est attelé à légiférer sur le brevetage du vivant. Déposé en mars 2014, le projet de loi biodiversité avance des modalités pour assurer un partage juste et équitable entre les autochtones et les entreprises. Mais il reste très vague dans les termes, proposant une rétribution «d'abord en nature (formation, études scientifiques gratuites, recrutements, etc.), mais aussi parfois financièrement».

Un autre élément de ce projet de loi est la ratification du protocole de Nagoya. Cet accord international pourrait aider des peuples comme les Guaranis à être rétribués pour leurs découvertes et leurs savoir-faire traditionnels. Adopté en 2010, l'accord propose des mesures pour assurer une répartition plus équitable des bénéfices tirés des ressources de la planète. Par ailleurs, la loi sur la biodiversité, adoptée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale en mars, dont l'un des objectifs est de lutter contre la biopiraterie, est désormais entre les mains des sénateurs.