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En Chine, on démolit aussi les habitants

Après le scandale créé par une vidéo montrant une équipe chargée de détruire des constructions illégales s'acharnant sur des villageois, un responsable local a été démis de ses fonctions.

Extrait de la vidéo montrant des villageois frappés par des hommes de main à Haikou. (Photo YouTube)
Publié le 03/05/2016 à 13h35

Retour sur un drame de l’urbanisation qui s’est déroulé cette semaine dans la province chinoise du Hainan, prisée pour ses plages et ses forêts tropicales, en quatre jours et quatre actes tels que narrés par la presse locale.

Vendredi 29 avril : 1 200 hommes (agents des services de l’urbanisation, de la sécurité publique, pompiers…) dont au moins 30 portent des armes à feu, fondent avec des bulldozers sur le village de Qionghua, dans le district de Xiujing, qui fait partie de l’agglomération de la capitale régionale Haikou. Objectif : détruire en deux jours 104 constructions déclarées illégales, sur une surface de 25 000 mètres carrés. La plus grosse opération de démolition de l’année dans la province.

«Longue scène de violence»

Samedi 30 avril : les villageois, qui avaient cédé leurs terres agricoles à des promoteurs, s’opposent à la destruction de l’ensemble résidentiel à peine terminé. Certains lancent des pierres, des pétards, des barils d’essence contre les équipes de démolition. La police arrête onze villageois, et ordonne de continuer l’opération. Les hommes de main s’acharnent. Quelqu’un filme en cachette une longue scène de violence, où l’on voit et entend des hommes vêtus de noir, casqués et armés de bâtons, frapper des femmes et des enfants recroquevillés à terre :

La vidéo est postée sur les réseaux sociaux, et se répand dans toute la Chine. Devant le scandale, les officiels locaux organisent une conférence de presse, où ils assurent que les responsables seront punis : sept membres de l'équipe de démolition sont arrêtés, et un chef d'équipe, un certain Wang, est licencié. Les officiels font valoir que c'est quand même les habitants qui ont eu recours à la violence les premiers. La raison pour laquelle les constructions, de faible hauteur, ont été lancées puis déclarées illégales reste mystérieuse. En Chine, depuis des années, des dizaines de milliers de petits propriétaires sont dépossédés à vil prix de leurs terres ou de leur propriété par des officiels qui les revendent à des promoteurs, souvent en échange de pots-de-vin.

«Conflits d’intérêts»

Dimanche 1er mai : la vidéo continue à se répandre, et le scandale avec. Les Nations unies appellent sur leur compte officiel Weibo à cesser les démolitions forcées, contraires aux droits humains. Pour faire taire les protestations, le maire de Haikou et des responsables du Parti se rendent sur place, présentent leurs excuses à la population, et annoncent que le chef de district de Xiuying est démis de ses fonctions pour «ses échecs dans le management, la supervision et la conduite de la démolition de bâtiments illégaux».

Lundi 2 mai : les organes officiels de presse chinois mettent eux-mêmes en ligne la «vidéo terrifiante» sur YouTube. La version anglaise du Global Times, journal proche du gouvernement, titre sur le licenciement du responsable de district, et donne une explication par la bouche d'un professeur de sociologie : «Certains gouvernements locaux occupent et vendent des terres pour la construction. Le processus comprend généralement des conflits d'intérêts et de la corruption, ce qui facilite les démolitions forcées comme celle-ci.» Rideau.

En décembre, après qu'un immense amas de terre accumulé illégalement s'était écroulé sur un quartier de Shenzhen, dans le sud de la Chine, tuant plus de 70 personnes, le géographe Thierry Sanjuan concluait pour Libération«L'Etat central va désigner des officiels locaux comme responsables, l'échelon local sera le fusible, et ça n'ira pas plus loin. La conscience politique du risque se heurte encore à la volonté de faire du développement et de l'argent à tout prix.»