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Dette

Porto Rico, une île qui rame

Dix ans après l’arrêt des privilèges fiscaux qui attiraient des entreprises internationales, le territoire américain est surendetté et au bord de la faillite.

A San Juan, dimanche. (Photo Erika P. Rodriguez. Bloomberg. Getty)
Publié le 03/05/2016 à 20h31

«Face à l'incapacité de répondre aux demandes de nos créanciers et les besoins de notre peuple, je devais faire un choix… Et j'ai décidé que vos besoins de base étaient plus importants que quoi que ce soit d'autre.» C'est avec ces mots qu'Alejandro García Padilla, le gouverneur de l'archipel américain de Porto Rico, a annoncé dimanche que la Banque de développement de l'île, l'équivalent du Trésor américain, ne paierait pas dans l'immédiat une échéance de 422 millions de dollars (366 millions d'euros). Au risque d'alimenter un peu plus la chronique d'une banqueroute maintes fois annoncée depuis plus d'un an, le gouverneur de Porto Rico, ce territoire rattaché aux Etats-Unis mais qui n'est pas un Etat américain, a donc décidé «un moratoire temporaire sur cette échéance». A court de liquidités, Alejandro García Padilla a choisi d'appliquer une loi controversée adoptée début avril par le Parlement qui permet de déclarer un moratoire sur la dette du pays quand le financement des services de base est en jeu. Surnommée «la Grèce des Caraïbes», plus en raison d'une dette publique de 72 milliards de dollars (75 % du PIB) que par son climat, Porto Rico est menacé d'une cascade de défauts de paiements. Si le moratoire qui vient d'être annoncé ne constitue pas le premier défaut de l'île (il s'agit en fait du troisième depuis 2015), il est de loin le plus important.

«Havre de paix»

A l'origine de cette déconfiture larvée, la décision des Etats-Unis, en 2006, de supprimer un régime fiscal qui incitait les entreprises à investir à Porto Rico. «Parti de zéro, Porto Rico va devenir, grâce à ce système fiscal instauré dans les années 50, un havre de paix pour les investissements directs étrangers qui seront exonérés de tous impôts», explique James Cohen, professeur à Paris III. En quelques années, la petite ville de Barceloneta, située à moins d'une heure de la capitale, San Juan, voit s'implanter la plupart des grandes multinationales de la pharmacie. Elles sont américaines, suisses ou allemandes. Le «zéro impôt» va très vite charmer d'autres entreprises, comme celles du secteur de la pétrochimie. Bien sûr, le manque à gagner fiscal est relativement important pour Porto Rico. Mais qu'importe, puisque ces multinationales embauchent… Et qu'elles agrègent toute une flopée d'entreprises locales. De quoi faire tourner l'économie et ramasser suffisamment d'impôts sur les entreprises les ménages portoricains.

C’est surtout une situation rassurante dès lors qu’il s’agit de penser l’avenir. Pendant des années, l’Etat va donc grossir, embaucher à tout-va, s’endetter avec d’autant moins de difficultés que (là encore), Washington consent à l’époque un régime fiscal alléchant à tous les Américains ou fonds d’investissement qui viendront acheter des bons du trésor émis par Porto Rico.

Quadrature

Mais voilà, cette mécanique va commencer à se gripper dès 1996. Washington annonce alors la couleur : la fin des avantages fiscaux sera sifflée en 2006. La suite ? Des multinationales qui plient bagage, une dépression économique, une hausse du chômage, un effondrement des investissements, une dégringolade des rentrées fiscales et, in fine, l’aéroport international Luis Muñoz Marin comme seul horizon pour des dizaines de milliers de Portoricains terrassés par la crise. En 2006, le pays compte 4 millions d’habitants. Ils sont à peine plus de 3,6 millions aujourd’hui, dont 45 % vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 16 % dans l’ensemble des Etats-Unis) et le taux de chômage officiel dépasse les 12,2 % (contre 5,5 %).

Il n'en fallait pas plus pour plonger le pays dans une grave crise budgétaire où le taux d'endettement de l'Etat est toujours plus élevé. Une véritable quadrature du cercle, pour ne pas dire une voie sans issue. Si Alejandro García Padilla ne parle pas encore de faillite pure et simple et préfère utiliser le terme de «moratoire», il ne cesse de demander au Congrès américain les moyens de restructurer sa dette. «Nous ne voulons pas d'un sauvetage financier, et on ne nous en a pas proposé. Ce que nous voulons, c'est une procédure de restructuration qui ne coûtera rien aux contribuables américains», a-t-il rappelé.

L'administration Obama a plus d'une fois déclaré qu'elle était prête à appliquer le fameux chapitre 9 du code des faillites, qui prévoit la mise en défaut ordonnée des Etats fédérés des Etats-Unis. Mais toujours rien à l'horizon. Quant au plan de restructuration de la dette élaboré par Porto Rico, il a été rejeté par les créanciers. L'île, qui laisse planer le risque d'une faillite, propose à ces derniers d'effacer entre 47 % et 57 % de la valeur faciales de leurs titres. «Sans action pour mettre en place un cadre viable pour restructurer l'endettement de Porto Rico, les détenteurs d'obligations vont expérimenter un dénouement fastidieux et chaotique avec la réelle possibilité de ne pas être payés», a averti mardi le secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew. L'heure de vérité pourrait sonner le 1er juillet. Ce jour-là, Porto Rico devra verser 2 milliards de dollars. Même en raclant les fonds de tiroirs, on devine la suite…