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Billet

Non, la presse étrangère n’est pas spécialement obsédée par la religion de Sadiq Khan

Sadiq Khan lui-même n’a pas hésité à revendiquer le symbole de sa candidature, dans ses discours de campagne, sur Twitter, lors des débats, sur ses prospectus électoraux.

Sadiq Khan, le 10 octobre 2015, à Londres. (Photo Justin Tallis. AFP)
Publié le 08/05/2016 à 18h51

Les médias étrangers, français notamment, en ont-ils trop fait sur la religion (musulmane) du nouveau maire de Londres ? C'est la question qu'a posée le journaliste du Guardian Jon Henley dans un article publié quelques heures avant l'annonce de la victoire de Sadiq Khan. Il reprochait à la presse étrangère de ne s'être concentrée que sur le fait que Sadiq Khan est musulman et d'avoir négligé les programmes politiques proposés par les candidats.

Symbole. Il a en grande partie raison. D'abord parce que les programmes des deux principaux candidats, conservateur et travailliste, ne variaient guère. Zac Goldsmith et Sadiq Khan ont tous deux plaidé en faveur d'une politique du logement dynamique, pour lutter contre le manque chronique d'habitations à loyers modérés ; tous deux étaient opposés à l'expansion de l'aéroport d'Heathrow ; en faveur d'une réduction (d'un gel pour Sadiq Khan) du prix des billets des transports publics ; pour une réduction de la pollution. Et il se trouve que la campagne a effectivement été dominée par le profil personnel de chacun des deux principaux candidats. Notamment parce que le camp du conservateur Zac Goldsmith a choisi très tôt d'utiliser cette carte, en multipliant les allusions racistes. Ce qui a du coup entraîné une focalisation des commentaires dans la presse. Le très sérieux Financial Times a lui-même titré en une, au lendemain de l'élection de Khan : «Premier musulman maire d'une grande capitale européenne», une manchette reprise par The Guardian.

Sadiq Khan lui-même n'a pas hésité à revendiquer le symbole de sa candidature, dans ses discours de campagne, sur Twitter, lors des débats, sur ses prospectus électoraux : ses origines modestes, son enfance dans une cité, ses parents immigrés du Pakistan - chauffeur de bus et couturière - et oui, sa religion, l'islam. Il a revendiqué le symbole pour rappeler que son parcours est une belle histoire, que «l'impossible a été rendu possible par les Londoniens», a-t-il dit dans son discours à l'annonce des résultats.

En 2014, il en allait de même pourAnne Hidalgo. Au moment de son élection à Paris, en mars 2014, la presse étrangère, et notamment britannique, avait souligné lourdement, et bien plus que la presse française, ses origines espagnoles et le fait qu'elle était une femme. Le 21 mars 2014, le Guardian titrait : «La socialiste Anne Hidalgo sur le point de devenir la première femme maire de Paris». Le 31 mars 2014, le Daily Telegraph (conservateur) reprenait le même titre et soulignait au tout début de l'article qu'elle était «née espagnole». Le Washington Post rappelait, lui, aussi qu'elle «avait émigré en France lorsqu'elle était enfant».

L’élection du maire d’une grande capitale ne ressemble à aucune autre élection. Le maire est un symbole, et il personnalise sa ville. Et souvent, c’est sa personnalité qui prime, au moins au début. Ce fut le cas à New York avec Rudy Giuliani, Michael Bloomberg, Bill de Blasio, ou à Paris avec Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo. A Londres, ce fut vrai pour Ken Livingstone, Boris Johnson et c’est aujourd’hui vrai pour Sadiq Khan.

Cosmopolite. Les Londoniens n'ont pas élu Sadiq Khan parce qu'il était musulman. Ils ont voté pour lui parce qu'il était travailliste. Parce que Londres est une ville qui penche vers le Labour. Parce que, dans une cité si cosmopolite, Sadiq Khan soutient une ligne pro-européenne, alors que Zac Goldsmith est en faveur du Brexit. Enfin, parce que Khan prône la modération et l'ouverture (il a voté pour le mariage pour tous). A une époque où le rejet de l'autre, de l'étranger, du «différent» domine de plus en plus l'actualité, le symbole de l'élection d'un fils d'immigrés pakistanais musulman, né dans une cité d'un quartier populaire de Londres mérite d'être souligné.