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Eclairage

Philippines : le programme surchargé du successeur d’Aquino III

Relations avec la Chine, jihadistes, social… Les dossiers sensibles seront nombreux sur le bureau du prochain président.

Xi Jinping et Benigno Aquino III, en novembre, à Manille. (Photo Wally Santana. Pool New. Reuters)
ParArnaud Vaulerin
Correspondant à Kyoto
Publié le 08/05/2016 à 20h31

En arrivant au palais Malacanang, le prochain président philippin va devoir s’emparer d’un dossier miné par les tensions : les différends maritimes avec le géant chinois en mer de Chine méridionale. L’affaire n’est certes pas nouvelle car, depuis les années 80 et le retour musclé de Pékin dans l’archipel des Spratleys, les deux pays se disputent la souveraineté de plusieurs îlots. Mais avec la présidence véhémente de Benigno Aquino III et l’arrivée au pouvoir d’un Xi Jinping, le président chinois, très hégémonique depuis 2012, les choses se sont nettement envenimées.

Les Chinois se sont emparés en 2012 du récif de Scarborough, dans la zone de pêche philippine, et ont entamé un bétonnage, sinon systématique, du moins massif de plusieurs récifs et atolls coralliens, comme Mischief, situé à moins de 200 milles marins de la grande île philippine de Palawan. Manille n'a cessé de documenter les travaux et de pointer ouvertement l'«agressivité» chinoise, Aquino III allant jusqu'à comparer les opérations de la Chine avec les conquêtes territoriales de l'Allemagne nazie. Puis les Philippins ont porté plainte devant la Cour permanente d'arbitrage des Nations unies à La Haye, qui s'apprête à rendre son arrêt. Pékin a déjà prévenu qu'il ne tiendrait pas compte de la décision de justice.

«Méfiance»

Le nouvel élu aura également fort à faire avec le dossier des musulmans séparatistes dans le sud de l'archipel. Benigno Aquino III était parvenu à un accord avec le Front islamique de libération nationale pour mettre un terme à une guérilla qui a coûté la vie à au moins 150 000 personnes depuis quarante-cinq ans. Et créer le Bangsamoro, le pays des Moros, ces descendants des commerçants arabes arrivés dans la région au XIVe siècle, sur l'île de Mindanao. Là, le gouvernement a promis autonomie, Parlement régional et police locale. Mais la loi est en souffrance au Parlement depuis des mois. «Les voix s'élèvent au Sénat car nombreux sont ceux qui refusent d'accorder ce qu'ils considèrent comme des privilèges et pointent les problèmes de constitutionnalité du texte, note Yves Boquet, professeur de géographie à l'université de Bourgogne-Franche-Comté et spécialiste du monde chinois et des Philippines (1). Il y a encore beaucoup de méfiance des Philippins catholiques face à la population musulmane. Le successeur va devoir affronter cette question épineuse.»

Le projet d’Aquino souffre aussi du fait que la région est touchée par le jihadisme. Aidée par des militaires américains, l’armée combat sans relâche des militants «fondamentalisto-mafieux» pas nombreux mais bien équipés grâce à l’argent des rançons versées par les pays occidentaux pour libérer leurs otages. Le groupe Abou Sayyaf, qui a fait allégeance à l’Etat islamique il y a deux ans, multiplie les kidnappings et vient d’égorger un Canadien. Son pouvoir de nuisance est réel dans une région pauvre où les tensions séculaires n’ont jamais été réglées.

Exode

Mais l'île de Mindanao n'est pas la seule région frappée par la pauvreté. «5 % de la population vit dans un état déplorable et ne mange pas à sa faim. 15 % peine à acheter des produits de base et se replie sur la consommation de riz dont le prix augmente, constate Yves Boquet. La présidence Aquino n'est pas parvenue à enrayer ce phénomène.»

Les Philippines font partie de ces régions d'Asie où les inégalités se sont creusées ces dernières années. Les fruits d'une croissance soutenue (5,8 % en 2015) sont loin d'avoir été partagés avec le plus grand nombre. L'emploi s'est précarisé et le taux de chômage reste élevé chez les jeunes dont un quart est sans travail. Le pays doit faire face à un exode de sa main-d'œuvre qualifiée qui, en retour, fait vivre le pays. L'économie philippine dépend encore de l'envoi d'argent de ces migrants disséminés sur toute la planète. Et elle est régulièrement exposée aux menaces climatiques. Le futur président devra se préparer à «limiter la vulnérabilité du pays aux calamités climatiques qui risquent de se multiplier à l'avenir», assure Yves Boquet. Le typhon Haiyan en novembre 2013 avait par exemple fait plus de 7 000 morts et ravagé les infrastructures du pays.

(1) L'Avenir des Philippines, un archipel dans la mondialisation, aux éditions universitaires de Dijon, 86 pages, 8 €.