Il n'a même pas attendu le décompte final. Sûr de sa victoire à la présidentielle philippine, Rodrigo Duterte a, dès lundi soir, promis «réconciliation et guérison» à ses adversaires après une campagne outrancière et débraillée qui a viré au plébiscite autour de sa personne. Avec plus de 15,4 millions de voix, le candidat démagogue, qui s'est campé en homme authentique et antiestablishment, s'est adjugé 38,7 % des suffrages. Arrivé en tête, Duterte est donc élu président. Il prêtera serment le 30 juin.
Exécutions. Sur la base des résultats communiqués par la commission électorale et qui portent sur 95 % des bulletins dépouillés, il devance largement Manuel Roxas, le candidat adoubé par Benigno Aquino III, le président sortant. Deuxième avec 23,4 % des suffrages, il a rassemblé 9,2 millions de voix et a reconnu sa défaite mardi matin. Grace Poe, que les analystes donnaient deuxième, arrive troisième avec un petit score de 21,6 %. Quant au vice-président, Jejomar Binay, à qui on promettait une élection de maréchal il y a un an, il arrive quatrième. Les deux derniers candidats n'atteignent pas la barre des 5 %.
«C'est avec humilité, une extrême humilité, que j'accepte le mandat du peuple, a dit Rodrigo Duterte avant d'aller se recueillir en pleurs sur la tombe de ses parents. Ce que je peux vous promettre, c'est que je vais faire tout ce que je pourrai, non seulement le jour, mais même pendant mon sommeil», a-t-il annoncé à Davao, la commune de l'île de Mindanao dont il est maire depuis vingt-deux ans.
C'est dans cette ville pauvre qui compte 1,5 million d'habitants, oubliée par Manille, que cet avocat à poigne de 71 ans s'est fait connaître comme un «punisseur», selon le qualificatif décerné par le Time en 2002. Il y a mené une chasse aux criminels qui s'est soldée par l'exécution extrajudiciaire de 1 700 personnes, selon ses propres dires. L'élu local avait confié les clés de la sécurité de la ville à des escadrons de la mort.
Au cours de la campagne, Rodrigo Duterte a assuré qu'il appliquerait les mêmes méthodes à l'échelle du pays pour lutter contre le racket et les trafics de drogue. Avant d'annoncer qu'il allait faire tuer des dizaines de milliers de délinquants. «Si vous êtes un policier et que vous voulez continuer votre racket, il faudra choisir : soit vous me tuez, soit je vous tue», a-t-il décoché mardi.
Médias. Promettant une «présidence sanglante» durant ses meetings, il avait déclaré que les morgues allaient être «pleines à craquer». «Je fournirai les corps», avait-il ajouté. Puis «Duterte Harry», en référence aux méthodes du flic «Dirty Harry» incarné par Clint Eastwood au cinéma, s'en était pris aux médias, à la classe politique et à l'absence de résultat dans la lutte contre la pauvreté, les inégalités et la criminalité ordinaire. «Oubliez les lois sur les droits de l'homme !» a-t-il lancé pendant un discours.
Arrivé tardivement dans la campagne, il s'est emparé des inquiétudes et a su capter la lassitude de la population qui ne profite pas des fruits d'une croissance de 6 % en moyenne depuis cinq ans. Duterte s'est posé en homme du peuple, proche des pauvres, dans un pays où 25 % des habitants vivent avec 0,61 dollar par jour (0,53 euro). «Duterte est un phénomène construit sur le ressentiment populaire, le désir de changement et le rôle joué par les réseaux sociaux, note l'analyste Alan Robles. Son image de maire grossier qui assassine les gens s'est emparée de l'imagination des électeurs, qui estiment que des méthodes drastiques sont nécessaires pour changer l'ordre social, politique et économique.»
Duterte a menacé de s’arroger les pleins pouvoirs si les parlementaires bloquaient ses projets. Des risques de coup d’Etat ont été évoqués ouvertement par un général soucieux de garantir la Constitution et les droits du peuple.