Après des rebondissements à répétition, les sénateurs brésiliens ont décidé, à 55 voix pour (sur 81), de suspendre la présidente Dilma Rousseff de ses fonctions. Elle sera donc écartée du pouvoir pendant 180 jours et remplacée par son son vice-président Michel Temer, en attendant le jugement final des sénateurs. Le point sur la crise politique qui occupe le Brésil depuis plusieurs mois, et sans doute pour un moment encore.
Que reproche-t-on à Dilma Rousseff ?
Un maquillage des comptes publics. Deux juristes sont à l'origine de la procédure de destitution qui vise la présidente brésilienne : Miguel Reale et Helio Bicudo, l'un des fondateurs du Parti des travailleurs (PT), dont fait justement partie Dilma Rousseff. La démarche a ensuite bénéficié du soutien d'Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, décrit comme le «meilleur ennemi» de la présidente. Ils reprochent à cette dernière d'avoir maquillé les comptes publics pour dissimuler l'ampleur des déficits. Le gouvernement aurait en effet financé des dépenses budgétaires grâce à des emprunts auprès de banques publiques, emprunts comptabilisés seulement en 2015, un an après l'élection présidentielle à l'issue de laquelle Dilma Rousseff s'était maintenue au pouvoir. Il s'agirait, selon l'opposition, d'un «crime de responsabilité», motif de destitution selon la Constitution brésilienne. Dans une interview au Monde, Dilma Rousseff affirmait : «La motivation de la procédure est fragile», assurant pour sa défense que ce procédé avait été utilisé par tous les présidents brésiliens.
Le scandale Petrobras. Dilma Rousseff est également affaiblie par le scandale de corruption Petrobras qui touche toute une partie de la classe politique brésilienne. Petrobras, c'est le nom de l'entreprise pétrolière contrôlée par l'Etat. Cette dernière est accusée d'avoir, avec des entreprises du BTP, versé des pots-de-vin à la coalition de centre gauche arrivée au pouvoir avec la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011), prédécesseur et mentor de Dilma Rousseff, plus connu sous le nom de Lula. En échange, elles auraient remporté des marchés publics et les auraient surfacturés.
Si pour l'instant, rien ne prouve que la présidente a bénéficié directement de ces pots-de-vin, pour beaucoup de Brésiliens, difficile d'imaginer qu'elle n'était pas au courant de ces pratiques. En effet, elle a été ministre des Mines et de l'Energie de 2003 à 2005, ministère de tutelle de Petrobras, et a été membre du conseil d'administration de l'entreprise de 2003 à 2010. D'autant plus que les sommes versées à la coalition au pouvoir, et donc au PT, son parti, auraient servi à financer ses campagnes électorales en 2010 et 2014. Dilma Rousseff assure ne pas avoir connu l'existence de ce système de corruption et a mis en avant la validation de ses comptes de campagne par la Cour des comptes brésilienne pour se défendre.
Le cas Lula. Son choix de faire entrer au gouvernement Lula, lui-même directement soupçonné d'avoir bénéficié de pots-de-vin, notamment par le biais de biens immobiliers, n'a rien fait pour arranger les choses. En effet, l'ex-président a été nommé chef de cabinet, un équivalent du poste de Premier ministre, le mercredi 16 mars, alors que le parquet venait de réclamer des poursuites pénales contre lui pour occultation de patrimoine. Si Dilma Rousseff a justifié sa décision par l'expérience politique de Lula, alors que le pays s'enfonce dans la récession, beaucoup y ont vu une façon de permettre à l'ancien président d'échapper aux poursuites judiciaires. Des soupçons qui se sont renforcés avec la diffusion, par le juge chargé de l'enquête à ce moment-là, Sergio Moro, d'une conversation téléphonique entre Lula et Dilma Rousseff. On y entend la présidente demander à son prédécesseur de ne se servir de son décret de nomination qu'en «cas d'absolue nécessité». Autrement dit, pour échapper à la justice. Un juge a d'ailleurs immédiatement ordonné la suspension de la nomination de Lula au gouvernement, pour que l'enquête qui le concerne continue d'être menée par la justice ordinaire.
Où en est la procédure et que va-t-il se passer ?
La procédure parlementaire de destitution lancée en décembre 2015, à l’initiative d’Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, a été approuvée le 17 avril à 367 voix pour et 137 voix contre, soit les deux tiers des députés requis pour que le processus de destitution se poursuive.
Après le vote, Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés et acteur de la destitution, a été suspendu. Il est accusé d'avoir «usé de ses fonctions dans son propre intérêt et de façon illicite pour empêcher que les investigations à son encontre n'arrivent à leur terme». Investigations concernant des faits de corruption et de blanchiment d'argent dans le cadre du scandale Petrobras.
Son remplaçant, Waldir Maranhao (Parti progressiste - centre), a décidé alors d'annuler le vote des députés, estimant que ces derniers n'auraient pas dû divulguer leur intention de vote et que Dilma Rousseff n'a pas pu se défendre. Avant de changer d'avis, sous la pression.
Peu importe pour le président du Sénat qui avait de toute façon ordonné la poursuite du processus de destitution. Le vote des sénateurs a donc eu lieu, comme prévu, jeudi 12 mai, après des heures de débat. Sur 81 sénateurs, 55 ont voté pour, 22 contre.
Dilma Rousseff va donc devoir abandonner son poste pendant 180 jours, durant lesquels une enquête et un procès devraient avoir lieu. À l’issue de cette période, les sénateurs, qui auront assisté au procès, devront décider s’ils l'écartent définitivement ou pas du pouvoir.
Elle sera remplacée ce jeudi par son vice-président Michel Temer, qu’elle accuse de coup d’Etat institutionnel, en attendant le jugement final des sénateurs d’ici six mois.
Peut-on faire des pronostics ?
Si le vote définitif n'aura donc lieu que dans six mois, la situation actuelle n'est en tout cas pas en faveur de la présidente temporairement déchue. Dilma Rousseff peut encore compter sur le soutien du PT et de ses alliés de gauche mais elle a été lâchée, le 29 mars, par son principal allié au sein de la coalition gouvernementale et par ailleurs la première force parlementaire du pays, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centriste). Deux semaines après, c'était au tour du Parti progressiste de quitter la coalition, réduisant ainsi les rangs des opposants à la destitution.
Qui va prendre le pouvoir ?
Pendant les 180 jours de suspension de Dilma Rousseff, Michel Temer, président du PMDB et ex-vice-président – qui a donc décidé de quitter le gouvernement –, va assurer l’intérim. C’est lui également qui devrait prendre la succession de la présidente en cas de destitution définitive et composerait un gouvernement d’union nationale en attendant les prochaines élections, fin 2018. A moins que ne soient organisées des élections anticipées pour résoudre au plus tôt la crise politique dans laquelle le Brésil est englué. Car Michel Temer est lui aussi visé par une procédure de destitution… pour son implication supposée dans le fameux maquillage des comptes publics. Il a également été cité plusieurs fois dans l’affaire Petrobras, qui, au-delà du PT, éclabousse une grande partie de la classe politique.
Aecio Neves, président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), principal parti de l’opposition, est lui aussi suspecté de corruption. Son nom a été retrouvé sur une liste qui recensait les dons faits par une entreprise de bâtiment. L’affaire Petrobras, encore une fois.