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Réchauffement

Copenhague se rêve vierge de carbone

La capitale danoise, déjà championne pour la place accordée au vélo, s’est donné un défi pour 2025 : être la première ville du monde qui n’émette pas de CO2 dans l’atmosphère.
Dans un potager à Copenhague. (Photo Laerke Posselt. VU)
publié le 15 mai 2016 à 20h11

Aux heures de pointe, sur le pont de la Reine-Louise, reliant le quartier populaire de Norrebro, dans le nord de Copenhague, au centre de la capitale danoise, le risque de congestion n’est jamais loin. Les cyclistes, pourtant, gardent leur calme. En roulant à une moyenne de 20 km / h, ils évitent tous les feux rouges sur les 2,2 km de la Norrebrosgade. Résultat : chaque jour, 42 000 vélos passent sur l’avenue. Même Amsterdam, capitale européenne de la bicyclette, ne fait pas aussi bien, avec 25 000 passages quotidiens sur son artère la plus fréquentée.

L'âme écolo, les 500 000 Copenhagois ? Un quart d'entre eux seulement possèdent une voiture et près de la moitié se rendent au travail ou à l'école à vélo. Pour autant, l'ex-comédien Klaus Bondam (acteur du film Festen), qui dirige la puissante Fédération nationale des cyclistes, tempère : «Si aujourd'hui beaucoup prennent leur vélo, c'est parce que c'est devenu le moyen le plus rapide et efficace de se rendre au travail.» Et l'efficacité, assure-t-il, est «une valeur qui compte beaucoup dans la culture scandinave.» C'est avec cette idée en tête que la capitale danoise avance vers l'objectif ambitieux qu'elle s'est fixée pour 2025 : devenir la première capitale verte du monde en n'émettant plus de CO2 dans l'atmosphère. Elle a déjà réussi à réduire de 35 % ses émissions depuis 2005 - 50 % par tête, en incluant l'augmentation de la population (10 000 nouveaux habitants par an). Plusieurs gros investissements, en phase d'achèvement, vont donner un coup d'accélérateur. «Le défi va être de trouver des idées pour faire disparaître les 300 000 dernières tonnes de CO2»,dit Jorgen Abildgaard, directeur du projet climat à la mairie. Il va falloir aussi compenser les émissions des véhicules roulant encore à l'essence, grâce à l'éolien qui produira plus d'énergie que la ville n'en consommera.

Crise pétrolière

Pas question, néanmoins, de passer en force. Ce serait contre-productif, assure l'architecte Anders Rohl, qui a derrière lui une longue carrière dans le développement des systèmes de transport : «Il faut que les objectifs soient inscrits dans la réalité. Ou bien ils sont inatteignables.» Il cite le vélo : «Dès qu'on inaugure une nouvelle piste cyclable, des milliers de cyclistes l'utilisent le lendemain.» L'adjoint à l'environnement, Morten Kabell, confirme : «A Copenhague, ce ne sont pas les élus et la mairie qui engagent la population. Ce sont les habitants qui nous poussent à agir.»

Le réveil date de 1973 et de la première crise pétrolière. A l'époque, la capitale danoise était «une ville relativement pauvre», rappelle Rohl. Ses habitants troquent leurs voitures, trop chères en raison de la hausse du prix de l'essence, contre leurs bicyclettes et manifestent sur la place de la Mairie pour réclamer qu'on leur rende leur ville envahie par l'automobile. Les premières pistes cyclables sont construites.

Dans la foulée, Copenhague transforme ses centrales électriques en centrales de cogénération, qui alimentent en eau chaude son réseau de chauffage urbain. Les habitants sont encouragés, à coup d'incitations fiscales, à abandonner leurs chaudières à fioul pour s'y connecter. «Notre objectif était déjà d'accroître l'efficacité énergétique avant que cela ne devienne une priorité dans la lutte contre les changements climatiques», constate Abildgaard.

L’élection de la sociale-démocrate Ritt Bjerregaard à la tête de la capitale danoise en 2005 a marqué un tournant. L’ex-commissaire européenne à l’environnement fait campagne sur un programme résolument vert. Le contexte est favorable : la capitale danoise accueille, quatre ans plus tard, la quinzième Conférence internationale sur le climat. Les regards du monde entier seront braqués sur le Danemark.

Le premier plan climat a été adopté en 2009, à l’unanimité, par le conseil municipal. L’année suivante, une liste de 60 projets est établie. Parmi les plus gros investissements : la conversion des centrales de cogénération, qui ne consommeront plus que de la biomasse d’ici 2020 ; la construction pour 740 millions d’euros d’une centaine d’éoliennes en baie de Copenhague et dans les communes alentours, pour une capacité de 360 MW ; l’extension du métro, pour 5 milliards d’euros. Pour chaque couronne que la ville dépense dans la construction de nouveaux bâtiments, la réhabilitation d’anciens logements ou le développement du système des transports (soit 360 millions d’euros entre 2011 et 2025), le secteur privé en investit 85.

Devenir une capitale verte demande des efforts permanents, assure l'adjoint au maire, Morten Kabell : «C'est prendre en compte le développement durable dans tous les aspects de la politique municipale. Tout doit contribuer à réduire les émissions de CO2.» Pas parce que les Copenhagois sont «des hippies qui aiment embrasser les arbres», mais car c'est la seule façon d'avancer, martèle l'élu de gauche : «Nous savons que Copenhague aurait sombré dans la récession, après la crise de 2008, sans nos efforts pour devenir neutres en carbone.» La mairie assure que de nombreux emplois ont déjà été créés dans l'économie verte et table sur un objectif de 28 000 à 35 000 emplois d'ici 2025.

L'Energylab, dans le quartier en pleine expansion de Nordhavn, au nord-est, est un exemple. D'ici quelques années, 40 000 personnes y vivront et autant y travailleront. Des chercheurs de l'Université technique du Danemark (DTU) vont, avec la mairie et des entrepreneurs privés, y tester grandeur nature des solutions pour stabiliser l'alimentation du réseau électrique en énergie verte. Le directeur du projet, Christoffer Greisen, explique : «Nous avons au Danemark le record mondial de pénétration de l'éolien à 42 %. Il faut trouver des moyens de stocker les surplus, quand le vent souffle fort, pour les utiliser quand la météo est calme.»

Déluge en 2011

Une énorme batterie d’une capacité de 1 MW sera installée au sous-sol d’un parking afin d’emmagasiner le trop plein d’énergie lors des périodes de grand vent. Une cinquantaine de logements ainsi que des bureaux seront équipés de compteurs high-tech leur permettant d’ajuster leur consommation d’énergie en fonction de la production, et d’utiliser une chaudière comme réserve d’électricité. Les batteries des voitures électriques seront aussi mises à contribution pour ajuster l’offre et la demande. Lorsqu’elles seront branchées et pleines, elles pourront fournir le réseau en électricité.

Mais Copenhague ne se contente pas de lutter pour limiter le changement climatique. La capitale se prépare aussi à en affronter ses conséquences. Les deux vont d'ailleurs ensemble assure Lykke Leonardsen, en charge du plan d'adaptation au climat à la mairie, même si «on a cru au départ qu'il suffirait de choisir l'un ou l'autre». A Copenhague, le 2 juillet 2011, le ciel s'ouvre au-dessus de la ville. Il tombe 150 millimètres d'eau en deux heures. Les rues sont inondées. Bilan : un milliard d'euros de dégâts.

En quelques jours, le plan d'adaptation aux changements climatiques devient une priorité. «Les élus n'avaient qu'à regarder dehors pour voir à quoi ressemblerait le futur», raconte la directrice du plan, qui fait le lien entre ces précipitations et le réchauffement climatique, et évoque «un changement de paradigmes pour les planificateurs urbains». Etendre le système des égoûts n'est pas envisageable : trop cher, pas assez flexible. L'évacuation des eaux devra donc se faire en surface. Il faut casser l'asphalte, remettre du vert, utiliser les voies de transports pour contrôler l'écoulement des crues. Au programme : près de 300 projets, pour un coût de 1,6 milliard d'euros, planifiés pour les vingt prochaines années.

Dalles percées

A l’est de la ville, la réhabilitation du quartier populaire d’Østerbro a été l’occasion de tester certaines idées. La place Tåsinge, un ancien terrain vague, en est la vitrine. Une partie de la route a été recouverte de grandes dalles percées qui laissent passer l’eau dans un réseau d’écoulement. La topographie du terrain a été modifiée avec l’aménagement d’un bassin prêt à accueillir l’eau de pluie en cas d’inondations. Chef du projet, René Lindsay Sommer évoque des réglementations compliquées, qui ont empêché certains projets de voir le jour : les sculptures en forme de parapluies inversés, par exemple, qui devaient permettre de recueillir l’eau de pluie, ont dû être percées, sur ordre de l’autorité de protection sanitaire, craignant les risques d’infection.

A la mairie, on râle surtout contre le gouvernement, dirigé par les libéraux soutenus par les conservateurs et les populistes du Parti du peuple danois, avec lequel la municipalité de gauche passe son temps à se battre, selon l'adjoint Morten Kabell : «Ils sont en déni total sur le climat et font tout pour empêcher ce que nous essayons de mettre en place ici.» Il évoque la suppression de subventions à l'éolien. Il y a aussi l'instauration d'une taxe pollution sur les voitures, que la mairie souhaiterait mettre en place, commente Marie Kåstrup, responsable vélo. Mais le gouvernement refuse.

Tous sont bien conscients, cependant, que même en atteignant l'objectif de 2025, l'impact sur le niveau global des émissions sera négligeable. Mais les effets pourraient être bien plus importants, «si nous parvenons à créer des solutions qui peuvent inspirer d'autres», affirme Jørgen Abildgaard. La ville accueille plus d'une délégation étrangère par semaine pour parler vélo. Mi-avril, c'est le secrétaire d'Etat américain aux Transports qui est venu tester les pistes cyclables de Copenhague. Et ce lundi, en Allemagne, Bonn accueille les délégués de 195 pays pour la première session de négociation de l'ONU sur le climat depuis l'adoption en décembre à Paris de l'accord de la COP 21. La communauté internationale doit désormais compléter ce pacte ambitieux. Ces délégués pourraient s'inspirer du modèle de Copenhague.