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Libération
Récit

Dérapage budgétaire : l'UE diffère sa décision de sanction contre Madrid et Lisbonne

La Commission européenne a décidé de reporter à juillet son jugement sur le sort de l'Espagne et du Portugal au sujet de leurs déficits publics en 2015.
Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, le 15 avril à Washington. (Photo Molly Riley. AFP)
publié le 19 mai 2016 à 14h50

Jean-Claude Juncker aurait pu être dogmatique et appliquer, au pied de la lettre, la règle. Mais le président de la Commission européenne a préféré jouer la carte politique, sans doute pour ne pas prendre le risque d’alimenter le «Bruxelles bashing» ambiant. Mercredi, en repoussant toute sanction dans l’immédiat contre l’Espagne et le Portugal, malgré des déficits publics qui dérapent, et en accordant à l’Italie de la flexibilité pour qu’elle tienne sa trajectoire budgétaire, la Commission a donné une lecture très souple des règles du Pacte de stabilité et de croissance.

Une amende pouvant aller jusqu'à 0,2 % du PIB

L'Espagne et le Portugal, qui ne sont pas parvenus en 2015 à atteindre les objectifs fixés par Bruxelles en termes de réduction du déficit public, auraient pu être les premiers pays de la zone euro à se voir infliger une amende pouvant aller jusqu'à 0,2 % de leur produit intérieur brut, depuis l'instauration de nouvelles procédures (en 2011) après la crise des dettes souveraines. Mais l'exécutif européen a décidé d'attendre. Ce sera en juillet. Véritable quadrature du cercle pour Bruxelles, notamment pour l'Espagne. En effet, comment sanctionner un pays sans gouvernement, et sous cure d'austérité budgétaire depuis plusieurs années ? Certes, la croissance semble repartir. Certes, les exportations espagnoles ne cessent de gagner du terrain. Mais au prix d'une déflation salariale sans précédent et d'un taux de chômage qui dépasse encore les 20 % de la population active. Malaisé dans de telles conditions de siffler la sanction.

«Ce n'est pas le bon moment économiquement et politiquement pour prendre des mesures», a souligné, lors d'une conférence de presse, Pierre Moscovici. Et le commissaire européen chargé des Affaires économiques d'ajouter, à propos de l'Espagne : «Il va y avoir des élections, nous n'avons pas en face de nous un gouvernement capable de prendre les mesures qui seraient nécessaires.» Le scrutin législatif du 20 décembre avait débouché sur un Parlement espagnol trop morcelé pour former un gouvernement. Faute d'accord entre les forces politiques en présence, le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy se contente de gérer les affaires courantes.

«Une décision équilibrée»

Et sanctionner le Portugal tout en faisant preuve d'une certaine mansuétude à l'endroit de l'Espagne ? C'était prendre le risque de l'affrontement avec celui qui fut un temps considéré comme l'élève modèle de la zone euro et qui a décidé depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir (en novembre) de desserrer l'étau de l'austérité économique. «Nous prenons également en compte le fait que ce sont deux pays qui ont subi la crise de plein fouet […] et qui ont fait l'un et l'autre des efforts significatifs en matière de réformes», a estimé Pierre Moscovici.

L'exécutif européen a ainsi accordé à l'Espagne et au Portugal une année supplémentaire pour ramener leur déficit public sous la barre des 3 % du PIB : pour le Portugal, en 2016, et pour l'Espagne, en 2017. Mercredi, le ministre espagnol des Finances, Luis de Guindos, a salué «une décision équilibrée». Pour 2015, l'Espagne affiche un déficit public de 5,1 %, alors que l'objectif initialement fixé avec Bruxelles était de ne pas dépasser les 4,2 % du PIB. Quant à 2016, ce serait, selon le même engagement, 2,8 % de déficit (sous la barre des fameux 3 %). Mais selon les dernières estimations bruxelloises, le déficit devrait s'établir à 3,9 %. Pour le Portugal, l'engagement pour 2015 était fixé à moins de 3 % alors que le pays devrait annoncer un déficit public d'environ 4,4 %.

L'Italie, colosse aux pieds d'argile

Egalement dans le collimateur de la Commission européenne, l'Italie au deuxième rang, derrière la Grèce, en matière de dette publique (134 % du PIB, contre 60 % selon les critères de Maastricht). Mais là encore, la Commission offre un délai avant de trancher : «Nous examinerons attentivement le projet de budget italien que nous recevrons en octobre.» Certes, l'indulgence de la Commission s'explique sans doute par les efforts faits par Rome. Mais la Commission mesure sans doute que l'Italie est un colosse aux pieds d'argiles. Matteo Renzi, le président du Conseil, rechigne de plus en plus à imposer de l'austérité. La reprise reste fragile, le système bancaire toujours relativement instable…

Et l'Italie parvient pour l'instant à financer sa dette grâce à des taux d'intérêt anormalement bas. Si d'aventure la tendance devait s'inverser et remettre ainsi au goût du jour une nouvelle crise de la dette souveraine, le spectre de la faillite ne serait pas loin. Et cette fois, c'est toute l'Europe qui serait menacée. En comparaison, la crise grecque n'aurait été qu'une simple bagatelle.