Sous le soleil de Caracas, le dirigeant de centre-droit Henrique Capriles a brandi le petit livre bleu de la Constitution vénézuélienne, mercredi à la mi-journée. «Révocation, tout de suite !» a scandé le millier de manifestants, sous les bannières des principaux partis d'opposition. Tous étaient venus exiger une fois de plus le départ du président «socialiste révolutionnaire» Nicolás Maduro, élu en 2013 après la mort de son mentor, Hugo Chávez.
La constitution progressiste, que le défunt comandante avait fait adopter en 1999, prévoit la possibilité pour les électeurs de révoquer par référendum leurs dirigeants à mi-mandat. «Montrer ce livre à Maduro aujourd'hui, c'est comme sortir une croix devant Satan», s'est enflammé Capriles. Candidat malheureux lors des deux dernières présidentielles, le gouverneur de l'État du Miranda, qui inclut une partie de la capitale, anime le mouvement pour cet anti-plébiscite. La tête de Maduro, qui jouit de moins de 30% d'opinions favorables dans les meilleurs sondages, semble à portée de main.
«J'ai une compote dans mon frigo. C'est tout.»
Parmi le public, mercredi, les militants énumèrent sans peine les maux qui affectent le pays sous le «socialisme du XXIe siècle». «La situation est de pire en pire, c'est une bombe à retardement», assure Aura Rojas, fonctionnaire de la mairie d'opposition de Caracas, frappée comme l'immense majorité de la population par les pénuries alimentaires. «J'ai une compote dans mon frigo, un point c'est tout.» Plus loin, une coordinatrice de quartier de Primero Justicia, le parti de Capriles, se plaint des médicaments introuvables, de l'eau qui ne lui parvient que trois jours par semaine – «et encore, souvent jaunâtre» – et de la délinquance qui a fait du Venezuela l'un des pays les plus dangereux au monde.
Ces critiques sont aujourd'hui communes jusque dans les quartiers populaires, anciens bastions «révolutionnaires». «Si cela dépendait de moi, je ferais partir Maduro dès cet après-midi», confie une ancienne «socialiste» convaincue du secteur de Cotiza, dans le centre de la capitale. «Avec Chávez, on voulait un changement,soupire-t-elle devant un supermarché, dans une file d'attente de plus de douze heures, où les partisans du président sont minoritaires, mais pas de ce genre !»
Entraînements militaires anti-émeutes retransmis à la télé
En décrétant le 13 mai dernier «l'État d'exception et d'urgence économique», qu'il pense prolonger jusqu'en 2017, le président a «lancé un vrai coup d'État contre les institutions», juge Inti Rodriguez, analyste de l'organisation de défense des droits humains Provea. Les capacités du Parlement sont encore réduites, le droit de manifester peut être suspendu… Le Président a également menacé d'exproprier toute usine à l'arrêt, dans un pays pétro-dépendant dont la production nationale est à genoux. Elle n'a pas été mise à éxécution contre Polar, premier producteur de bière immobilisé par manque d'orge, ni contre Coca-Cola, en suspens faute de sucre. Mais de grandes manœuvres militaires, dûment retransmises, ont montré l'armée s'entraînant à juguler des manifestations. De quoi refroidir les opposants, alors que plusieurs dizaines d'entre eux ont été condamnés et emprisonnés après des manifestations entachées d'affrontements meurtriers en 2014.
La route vers le référendum «ne sera pas facile», a reconnu Capriles sur l'estrade. Une étape de recollection de pétitions, additionnelle à celle prévue par la Constitution, a été imposée par le Conseil national électoral (CNE), dominé par les chavistes, et la vérification des signatures s'éternise. «Le pouvoir ajoute des règles en cours de route, pour que le référendum ait lieu en 2017», explique le politologue Luis Salamanca. En cas de défaite l'an prochain, Maduro laisserait simplement sa place au vice-président qu'il aurait désigné. Mais s'il perd cette année, de nouvelles élections seront organisées, avec de sérieux risques pour les chavistes de perdre le pouvoir.