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Histoire

Au Venezuela, «si cela dépendait de moi, je ferais partir Maduro dès cet après-midi»

A Caracas, les manifestations s’enchaînent sur fond de pénurie alimentaire. Acculé, le président socialiste tente de repousser le référendum sur son éventuelle destitution.
publié le 26 mai 2016 à 19h41

Sous le soleil de Caracas, le dirigeant de centre droit Henrique Capriles a brandi le petit livre bleu de la Constitution vénézuélienne, mercredi à la mi-journée. «Révocation, tout de suite !» a scandé le millier de manifestants, sous les bannières des principaux partis d'opposition. Tous étaient venus exiger une fois de plus le départ du président «socialiste révolutionnaire» Nicolás Maduro, élu en 2013 après la mort de son mentor, Hugo Chávez. La Constitution progressiste, que le défunt comandante avait fait adopter en 1999, prévoit la possibilité pour les électeurs de révoquer par référendum leurs dirigeants à mi-mandat. «Montrer ce livre à Maduro aujourd'hui, c'est comme sortir une croix devant Satan», s'est enflammé Capriles. Candidat malheureux lors des deux dernières élections présidentielles, le gouverneur de l'Etat du Miranda, qui inclut une partie de la capitale, anime le mouvement pour cet antiplébiscite.

La tête de Nicolás Maduro, qui jouit de moins de 30 % d’opinions favorables dans les meilleurs sondages, semble à portée de main.

Mercredi, les militants énuméraient sans peine les maux qui affectent le pays sous le «socialisme du XXIe siècle». «La situation est de pire en pire, c'est une bombe à retardement», assure Aura Rojas, fonctionnaire de la mairie d'opposition de Caracas, frappée comme l'immense majorité de la population par les pénuries alimentaires. «J'ai une compote dans mon frigo, un point c'est tout.» Plus loin, une coordinatrice de quartier de Primero Justicia, le parti de Capriles, se plaint des médicaments introuvables, de l'eau qui ne lui parvient que trois jours par semaine - «et encore, souvent jaunâtre» - et de la délinquance qui a fait du Venezuela l'un des pays les plus dangereux au monde.

«Etat d'exception». Ces critiques sont aujourd'hui partagées jusque dans les quartiers populaires, anciens bastions «révolutionnaires». «Si cela dépendait de moi, je ferais partir Maduro dès cet après-midi», confie une ancienne «socialiste» convaincue du secteur de Cotiza, dans le centre de la capitale. «Avec Chávez, on voulait un changement, mais pas de ce genre !»soupire-t-elle devant un supermarché, dans une file d'attente de plus de douze heures, où les partisans du Président sont minoritaires. L'opposition, patchwork allant de la gauche sociale-démocrate aux ultra-conservateurs rassemblés sous le nom de Table de l'unité démocratique (MUD, en espagnol), a déjà capitalisé ce mécontentement en décembre : elle a obtenu près des deux tiers des sièges de l'Assemblée nationale, après dix-sept ans de sécheresse parlementaire. Mais les nouveaux députés ont un rôle décoratif : le Tribunal suprême de justice, remanié à grand renfort de magistrats chavistes nommés in extremis par le Parlement sortant, invalide depuis janvier les lois contraires aux orientations du gouvernement.

En décrétant le 13 mai «l'Etat d'exception et d'urgence économique», qu'il pense prolonger jusqu'en 2017, le Président a «lancé un vrai coup d'Etat contre les institutions», juge Inti Rodriguez, analyste de l'organisation de défense des droits humains Provea. Les capacités du Parlement sont encore réduites, le droit de manifester peut être suspendu… Le Président a également menacé d'exproprier toute usine à l'arrêt, dans un pays pétrodépendant dont la production nationale est à genoux. La menace n'a pas été mise à exécution contre Polar, premier producteur de bière immobilisé par manque d'orge, ni contre Coca-Cola, en suspens faute de sucre. Mais de grandes manœuvres militaires, dûment retransmises, ont montré l'armée s'entraînant à juguler des manifestations. De quoi refroidir les opposants, alors que plusieurs dizaines d'entre eux ont été condamnés et emprisonnés après des manifestations entachées d'affrontements meurtriers en 2014.

Vérification. La route vers le référendum «ne sera pas facile», a reconnu Capriles sur l'estrade. Des conditions supplémentaires, non prévues par la Constitution, pour valider les pétitions ont été imposées par le Conseil national électoral (CNE), dominé par les chavistes, et la vérification des signatures s'éternise. «Le pouvoir ajoute des règles en cours de route, pour que le référendum ait lieu en 2017», explique le politologue Luis Salamanca. En cas de défaite l'an prochain, Maduro laisserait simplement sa place au vice-président qu'il aurait désigné. Mais s'il perd cette année, de nouvelles élections seront organisées, avec de sérieux risques pour les chavistes de perdre le pouvoir.