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Climat

Bonn face au beau «monstre» de l'accord de Paris

Les 197 délégations se sont retrouvées cinq mois après Paris pour faire un bilan d'étape avant la COP22 au Maroc, en novembre. Pour causer méthodologie, ratification et financements.
Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, lors de la cérémonie d'ouverture de la session de négociation sur l'application de l'accord de Paris, à Bonn, en Allemagne, le 16 mai. (Photo Patrik Stollarz. AFP)
publié le 26 mai 2016 à 17h03

Esprit de Paris, es-tu là ? s'interroge-t-on, dans les vastes allées du World Conference Center de Bonn, alors que s'achève ce jeudi l'unique session de négociation sur la route de la COP22, en novembre à Marrakech. Peu de monde, comparé à la grand-messe du Bourget, lors de la COP21. Pas franchement de passion dans les débats, en opposition au lyrisme et aux tensions de décembre. Et de la mollesse, un peu, loin du fameux «momentum» qui a abouti à l'adoption de l'accord de Paris. «Bonn est toujours une session technique», disent les vieux routiers de ces négociations onusiennes. Soit.

Devoirs et feuille de route

Les 197 délégations (l'Union européenne et 196 pays, dont la Palestine qui vient de rejoindre la Convention) ont donc dû faire leurs «devoirs» pour fixer la méthodologie du processus des années à venir. C'est la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur le climat (CCNUCC), Christiana Figueres, qui a défini le travail en ces termes au lancement des discussions. «Cette session avait pour but d'écouter les positions des pays, qui se retrouvaient pour la première fois depuis Paris, explique Yamide Dagnet, du think tank américain World Resources Institute. Ça leur a permis d'élaborer une feuille de route, de voir qu'il est possible de suivre une trajectoire commune, tout en prenant en compte les différences entre les pays développés et les pays en développement.»

Pour l'ambassadrice française et «championne du climat» Laurence Tubiana, «certaines difficultés n'ont pas disparu, mais il n'y a pas eu de débat idéologique qui a bloqué les discussions. On est dans une approche pragmatique, et pas dans la négociation. Ça ne veut pas dire que ce ne sont pas des sujets politiques.»

Paris et ses «ambiguïtés créatives»

Parmi ceux-là, la question de l'adaptation des pays en développement au changement climatique a largement pesé sur les débats de la première semaine. «Cette Convention a un gros défaut : nous n'avons jamais adopté de règles sur la prise de décision, du coup, tout se fait par consensus, rappelle le négociateur congolais et chef de la coalition des Pays les moins avancés (PMA), Tosi Mpanu Mpanu. Pour obtenir un consensus et adopter l'accord de Paris, on a dû accepter un langage qui comprend une certaine dose d'ambiguïtés créatives. Quelques mois plus tard, on se rend compte qu'on a créé un monstre ! Même si le monstre en question est une très belle réalisation. Mais nous, les pays en développement, avons été un peu naïfs.»

Notamment sur la question de l'adaptation aux effets du changement climatique, un peu éclipsée dans un premier temps au bénéfice de l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre, les deux piliers de l'action climatique. «Les pays en développement n'ont qu'un faible potentiel d'atténuation, et même, pour certains d'entre nous, avec une croissance économique et démographique, nos émissions vont croître, reprend le négociateur congolais. Finalement, les pays développés ont fait preuve de souplesse, et on a remis la question de l'adaptation à l'agenda. Mais on s'est empoignés pendant trois jours…»

Ratification à deux vitesses

Autre discussion très présente, celle de la ratification de l’accord de Paris. Adopté en décembre à l’issue de la COP21, ce traité qui vise à endiguer le réchauffement climatique mondial en dessous de 2 degrés, voire 1,5 degré, d’augmentation des températures par rapport à l’ère préindustrielle, entrera en vigueur quand 55 pays, représentant 55% des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’auront ratifié. Pour l’instant, 17 pays l’ont fait, ce qui correspond à 0,04% des émissions mondiales de GES… Mais la Chine veut aller vite, avant fin 2016 et probablement avec les Etats-Unis, qui ambitionnent une ratification avant l’élection du futur locataire de la Maison Blanche. Les deux premiers pollueurs de la planète représentent en cumulé plus de 40% des émissions mondiales.

L'accord de Paris pourrait ainsi entrer en vigueur bien avant la date prévue, en 2020. Ce qui pose la question, compliquée, de la place des pays qui n'auront pas encore ratifié le texte quand celui-ci entrera en vigueur. «Comment garantir la non-exclusion dans les discussions des pays qui n'ont pas encore ratifié?», questionne Laurence Tubiana. En ligne de mire, l'Union européenne qui risque fort d'être à la traîne. Il faut que les parlements nationaux des 28 ratifient le texte, pour que l'UE puisse à son tour le faire. Or, les Etats charbonniers comme la Pologne n'ont franchement pas l'air pressés. Et beaucoup d'autres n'ont pas envie de s'engager sans avoir bouclé l'épineuse conversation du partage de l'effort entre les Etats membres. Conformément aux engagements pris par l'Union européenne en septembre dernier, les 28 doivent en effet viser une réduction d'au moins 40% de leurs émissions de GES d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.  «L'UE, qui devrait prêcher par l'exemple, va se retrouver dans une situation très délicate», insiste Tosi Mpanu Mpanu.

Marrakech, la «COP de l’action»

Prochaine étape, Marrakech, au Maroc, en novembre. «Une COP barbante», aurait lâché un négociateur brésilien lors d'une réunion en début d'année, piquant au vif la future présidence marocaine, qui martèle depuis qu'il s'agira au contraire de la «COP de l'action». La société civile, elle, insiste pour que les énergies renouvelables et la question du financement – comment faire en sorte que les pays du Nord tiennent leur promesse faite à Copenhague, en 2009, et versent les 100 milliards de dollars (91,6 milliards d'euros) par an, d'ici à 2020, pour aider les pays du Sud à s'adapter aux impacts du changement climatique –, soient au cœur des négociations marocaines. Et rappelle, à l'instar de Sandeep Chamling Rai (WWF International), que le monde vient de connaître «sept mois consécutifs de records de chaleur dans le monde.»

Mais l'arène onusienne aura surtout en tête l'échéance de 2018. Cette année-là, les Etats devront revoir à la hausse leurs engagements en matière d'atténuation d'émissions de GES dans leurs contributions nationales, pierre angulaire de l'accord de Paris. Ce n'est, sans doute, qu'à ce moment-là, qu'on pourra mesurer le succès du texte. Selon Laurence Tubiana, «ce sera le prochain bilan d'étape, un moment fort».