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Libération
EDITORIAL

Démons

publié le 27 mai 2016 à 19h51

Nous les Français, les médias en particulier, aimons bien poser un regard sans concession sur le racisme aux Etats-Unis. On pointe le Ku Klux Klan, les émeutes urbaines, le procès Simpson… On juge avec dureté cette démocratie née en tolérant l’esclavage, comme un péché originel qui empoisonne toujours les rapports entre Blancs et Noirs. On se félicite d’avoir su accueillir à Paris tant d’intellectuels fuyant la ségrégation pendant les années 60. Ne doutons pas de notre sincérité à observer les Etats-Unis se débattre avec leurs démons. Pourtant, n’avons nous point de face obscure ? Sommes-nous aveugles ou ignorants au point d’oublier que le projet émancipateur que nous nous glorifions d’incarner aujourd’hui, né avec la Révolution française, poursuivi en 1848 et la décolonisation, portait en son cœur même le stigmate racial et esclavagiste ? Mais non : notre nation, une et indivisible, où les citoyens naissent et demeurent libres et égaux en droits, ne peut pas être raciste. Balayer devant sa porte est toujours difficile. Les Etats-Unis ont pris la question noire à bras-le-corps ; en France, elle est restée longtemps ignorée, confondue avec la lutte contre la discrimination sociale, ou taboue parce que, par principe, nous, et surtout à gauche, ne saurions être racistes. L’Amérique d’Obama n’a pas réglé tous ses problèmes, mais à l’heure où notre pays se vautre dans la fange racialiste - de la polémique Black M à la sortie de Morano sur la race blanche -, il est urgent de retirer la poutre que nous avons dans un œil et de jeter l’autre derrière la paille du voisin. Il nous faut écouter cette France qui dit son mal-être du racisme, sa colère contre une police dont près de la moitié de ses membres a avoué avoir voté pour un parti xénophobe, sa soif d’égalité, de dignité et d’inclusion dans la république. Savoir dire nous. C’est aussi pour cela que nous avons demandé à Rokhaya Diallo, journaliste et militante féministe et antiraciste, d’enquêter sur l’émergence du mouvement Black Lives Matter et les rapports qu’entretiennent anciens et nouveaux militants des droits civiques. Nous avons sans doute des leçons à prendre des Etats-Unis.