Ce n’est qu’une petite vaguelette sur les eaux calmes de l’intersession à Bonn, dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le climat (CCNUCC). Jeudi soir, alors que les différents organes devaient procéder à la clôture de deux semaines de négociations sans grand relief, la mécanique d’un groupe technique sur la mise en œuvre de l’accord de Paris, (le SBI, pour «Subsidiary Body of Implementation») s’est grippée.
Guéguerre picrocholine
En cause, l'offensive de l'Equateur, au nom d'une coalition de pays en développement (les LMDC, «Like-Minded Developing Countries», qui regroupe les pays pour lesquels le changement climatique n'est pas seulement une question écologique, mais aussi un frein à leur développement), à propos de la notion de conflits d'intérêts et de la redéfinition du statut d'observateur. En face, les Etats-Unis, l'Union européenne et l'Australie estiment sans ciller «qu'il n'y a aucun conflit d'intérêts dans le cadre de ces négociations», rapporte Tamar Lawrence-Samuel, de l'ONG Corporate Accountability International, qui a assisté aux débats. Le président du groupe technique, un Polonais, a, lui, tout fait pour enterrer la discussion.
Dans l’arène onusienne, le statut d’observateur peut être obtenu par des organisations non-étatiques : syndicats, peuples autochtones, ONG… et entreprises. A condition qu’elles fassent la demande d’accréditation via une association à but non-lucratif. Par conséquent, un représentant de Total, Shell ou Exxon possède le même badge orange et le même statut qu’un activiste des Amis de la Terre ou de Greenpeace.
La guéguerre de jeudi soir peut sembler picrocholine, mais les enjeux sont immenses : il s'agit non moins de l'indépendance de la CNUCCC vis-à-vis des gros pollueurs du secteur fossile, très émetteurs en gaz à effet de serre, cause du réchauffement climatique qu'est justement censée combattre la Convention. D'autant que l'accord de Paris, adopté à l'issue de la COP 21 en décembre, accorde une plus grande place au secteur privé, notamment dans le cadre de l'Agenda des solutions - un registre de bonnes pratiques des collectivités locales, entreprises et ONG. «Le texte est très clair, puisqu'il invite tous les acteurs non-étatiques à collaborer avec la Convention pour l'élaboration de nouvelles politiques, décrypte Tamar Lawrence-Samuel. Ça ouvre grand la porte aux entreprises du secteur fossile, alors qu'on n'a prévu aucun garde-fou. L'industrie fossile n'a aucun intérêt à aller vers des politiques climatiques ambitieuses, et utilise ses accès aux gouvernements des pays du Nord pour entraver l'action à tous les niveaux.»
Pas la révolution
Mais la société civile, tout comme les LMDC dans cette discussion, ne demande pas l'exclusion des entreprises, à la fois problème et solution au changement climatique. «Personne ne dit qu'il faudrait faire sans elles, garantit Sébastien Duyck, conseiller juridique au Center for International Environmental Law (Ciel). Mais la tendance récente est de leur accorder de plus en plus de place. Or, leur rôle n'est pas plus important que celui des gouvernements locaux, des syndicats ou des chercheurs.» Ce que demande l'Equateur, c'est d'abord un état des lieux des pratiques existantes et une amorce de travail de définition sur la notion de conflits d'intérêts. Pas la révolution, donc. «Mais c'est déjà génial, se réjouit Tamar Lawrence-Samuel. C'est la première fois, en plus de vingt ans que la Convention existe, que les parties débattent du sujet et prononcent lors de débats publics l'expression conflits d'intérêt.»