Le paradoxe de l'économiste néokeynésien Robert Solow serait-il toujours d'actualité ? L'Américain aimait à souligner que «les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de la croissance». Au menu des discussions pendant trois jours à Paris au forum de l'Organisation de développement et de coopération économique (OCDE) : la faible croissance de la productivité des économies du G20. Le dernier exemple vient des Etats-Unis. Le pays a beau frôler le plein-emploi, rien n'y fait, sa productivité n'a augmenté que d'un petit 0,3 % en 2015, soit un niveau cinq fois inférieur à la normale. Les autres pays du G20 ne sont pas en reste. Selon l'OCDE, la hausse annuelle de la productivité des pays les plus riches (émergents compris) est passée de 2 % entre 1990 et 2000 à 0,9 % entre 2007 et 2014. Et la chute se poursuit en 2016 avec une hausse de 0,7%.
La faute à la crise, «dont les séquelles sont toujours visibles», estime Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE. La faiblesse de la demande dans les pays de l'OCDE freine l'investissement. Et c'est ce dernier, estime l'organisation, qui est source de hausse de la productivité… et donc de croissance.
«Il faut donc entamer des réformes», suggère le secrétaire général de l'OCDE qui pointe des économies freinées aussi par un creusement des inégalités. «Depuis trente ans, jamais la croissance de la productivité n'a été aussi faible et les inégalités salariales aussi importantes», a-t-il déclaré. «Le poids croissant de la finance dans l'économie mondiale pourrait avoir détourné l'investissement des activités productives et provoqué une plus forte concentration de la richesse», s'interrogent les experts de l'OCDE.
Le ralentissement de la croissance de la productivité aurait affecté toute l'économie. «Il est particulièrement marqué dans les industries où les dernières innovations technologiques et numériques devaient procurer le plus de bénéfices»,précise Angel Gurria. Voilà qui ne manquera pas de relancer le débat autour du paradoxe relevé par Robert Solow.
Aujourd’hui, deux écoles s’opposent pour expliquer cette faible productivité. La première est plutôt du côté des tenants de la «stagnation séculaire». Dans le sillage des économistes Robert Gordon ou Larry Summers, ils estiment que le progrès technique engendré par la révolution numérique n’a pas le même pouvoir de transformation que les précédentes révolutions industrielles. Pendant les Trente glorieuses, la combinaison du travail et du capital débouchait sur une production de masse, une consommation de masse… Le tout sur fond de partage plus équitable de la valeur ajoutée entre actionnaires et salariés. A la fin des années 70, ce régime sera remplacé par celui de la finance et de la dérégulation. C’est ce nouveau modèle qui va rencontrer les technologies de l’information et de la communication. Bien sûr, elles créent une rupture, mais pas aussi forte que celle engendrée par le fordisme…
La seconde école suggère que la productivité est moins facile à mesurer aujourd’hui. Et de pointer des économies dominées par les services dont la productivité ne peut se mesurer par une production horaire.