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Croissance

L’OCDE au chevet de la productivité en berne des pays du G20

Cet enjeu est le thème central des deux jours du forum de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui a ouvert ses portes ce mardi, à Paris.
A la Bourse de Francfort, le 25 avril. La financiarisation croissante de l'économie et la révolution numérique expliqueraient la faiblesse de l'investissement dans les pays riches. (Photo Reuters)
publié le 31 mai 2016 à 18h07

Le paradoxe de l'économiste néokeynésien Robert Solow serait-il toujours d'actualité ? Prix de la banque de Suède en sciences économiques en 1987, l'Américain, réputé pour ses travaux sur la croissance économique, aimait à souligner que «les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques de la croissance». Ministres, experts et personnalités du monde universitaire se retrouvent pendant trois jours à Paris au forum de l'Organisation de développement et de coopération économique (OCDE). Au menu des discussions : la faible croissance de la productivité des économies du G20. Le dernier exemple vient des Etats-Unis. La première puissance économique mondiale a beau multiplier les embauches à tour de bras, frôler le plein-emploi avec un taux de chômage d'à peine 5%… Rien n'y fait, sa productivité enchaîne les records de baisse. Elle n'a augmenté que d'un petit 0,3 % en 2015, soit un niveau cinq fois inférieur à la normale. «C'est un rythme absolument misérable», a commenté la présidente de la banque centrale américaine (Fed), Janet Yellen, vendredi à Harvard.

Les autres pays du G20 ne sont pas en reste. Selon les données de l'OCDE, la hausse annuelle de la productivité des économies les plus riches (pays émergents compris) est passée de 2 % en moyenne entre 1990 et 2000 à 0,9 % entre 2007 et 2014. Et la chute se poursuit en 2016 avec une petite hausse de 0,7%. La faute à la crise, «dont les séquelles sont toujours visibles», estime Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE. «Croissance atone, chômage obstinément élevé dans plusieurs pays, échanges et investissement en berne, et perte de confiance profonde de la part des citoyens. Toute perspective de voir les économies avancées ou émergentes renouer résolument avec la croissance s'éloigne depuis un an», ajoute-t-il.

«L’énigme de la croissance»

Or, la faiblesse de la demande dans la plupart des pays de l'OCDE freine l'investissement. Et c'est ce dernier, estime l'organisation, qui est source de hausse de la productivité… et donc de croissance et de richesse des économies. «Il faut donc entamer des réformes», suggère le secrétaire général de l'OCDE qui pointe des économies dont la croissance économique est freinée aussi par un creusement durable des inégalités de chances, de patrimoine, de revenus et de bien-être. «Tandis que les riches sont devenus plus riches, les classes moyennes, presque partout en diminution, n'ont enregistré au mieux qu'une faible amélioration de leurs revenus, et de nombreux bas salaires ont sombré dans la pauvreté. Depuis trente ans, jamais la croissance de la productivité n'a été aussi faible et les inégalités salariales aussi importantes», a-t-il déclaré. «Le poids croissant de la finance dans l'économie mondiale pourrait avoir détourné l'investissement des activités productives et provoqué une plus forte concentration de la richesse au sommet de la distribution des revenus», s'interrogent les experts du château de la Muette.

Le ralentissement de la croissance de la productivité aurait affecté tous les secteurs de l'économie. «Il est particulièrement marqué dans les industries où les dernières innovations technologiques et numériques devaient procurer le plus de bénéfices tels que les secteurs de l'information, de la communication, de la finance et de l'assurance», précise Angel Gurria. Voilà qui ne manquera pas de relancer le débat autour du fameux paradoxe mis en évidence par Robert Solow. Certes, depuis les économistes ont fait du chemin. Mais pas au point de résoudre «l'énigme de la croissance», selon la formule de Solow.

«Stagnation séculaire» ou difficultés à quantifier 

Aujourd’hui, deux écoles s’opposent pour expliquer cette baisse de la productivité. La première est plutôt du côté des tenants de la «stagnation séculaire». Dans le sillage de deux économistes américains (encore) Robert Gordon ou Larry Summers, ces derniers estiment que le progrès technique engendré par la révolution numérique n’a pas le même pouvoir de transformation que les précédentes révolutions industrielles, celles qui furent engendrées pendant les Trente glorieuses. Pendant ce régime de croissance qualifié de «fordiste», la combinaison du travail et du capital débouchait sur une production de masse, une consommation de masse… Le tout sur fond de progrès technique, de transformations des organisations du travail et de partage (plus équitable) de la valeur ajoutée entre d’un côté les actionnaires et de l’autre les salariés.

A la fin des années 70, ce régime fordiste entre en crise et sera vite remplacé par celui où finance et dérégulation donnent le «la» dans la plupart des économies. Et c’est justement ce nouveau modèle qui va rencontrer les fameuses TIC (technologies de l’information et de la communication). Bien sûr, ces technologies créent elles aussi une rupture, mais pas aussi forte que celle engendrée par le fordisme… La productivité augmente, mais par palier seulement. Tandis que celle du fordisme était en constante augmentation.

La seconde école suggère une autre explication. Et si la productivité était simplement moins facile à mesurer aujourd’hui qu’hier ? Et de mettre en avant un monde où les économies sont (de plus en plus) dominées par les services dont la productivité ne peut se mesurer par une production horaire. Sans vraiment prendre part pour l’une ou l’autre des deux thèses, l’OCDE préfère s’en remettre à des vieilles recettes : investir toujours plus. Dans l’espoir qu’un jour peut-être…