Alors que les primaires californiennes se déroulent mardi prochain, Libération sillonne le sud de l’Etat, de Los Angeles à la frontière mexicaine. Premier épisode : San Bernardino.
Dans son bureau de l’Université de Californie, à San Bernardino, où il dirige le Centre pour l’étude de la haine et de l’extrémisme, Brian Levin active le haut-parleur de son téléphone et lance la lecture de plusieurs messages laissés sur son répondeur.
«Toute cette histoire de représailles contre les musulmans, c’est de la merde, de la merde !»
dit un homme d’une voix menaçante. Le message en question date de mi-décembre, peu après
[ l’attaque menée par deux terroristes se revendiquant de l’Etat islamique ]
: Syed Farook, un Américain de 28 ans et
[ Tashfeen Malik, sa femme pakistanaise ]
. Le 2 décembre, il y a six mois jour pour jour, ils ont ouvert le feu lors d’une fête d’employés du comté de San Bernardino, pour lequel travaillait Farook, tuant 14 personnes.
«Des messages comme celui-ci, j'en reçois des dizaines», confie Brian Levin. Depuis plusieurs décennies, cet Américain juif dont le père GI fut prisonnier de l'Allemagne nazie consacre sa carrière aux phénomènes de haine et d'extrémisme. Après chaque attentat, il étudie les statistiques : celles des semaines ayant suivi les attaques de Paris et de San Bernardino ont montré que les crimes islamophobes avaient été multipliés par trois aux Etats-Unis.
Le professeur s’exprime aussi dans les médias, sur les réseaux sociaux, pour critiquer ces représailles anti-musulmans. Ce qui lui vaut des dizaines de messages, souvent agressifs et anonymes. Leur fréquence s’est accélérée après le drame de San Bernardino, comme ça avait déjà été le cas après les attentats du marathon de Boston, en avril 2013.
Dans la campagne présidentielle américaine, l'attaque de San Bernardino restera comme un tournant. Moins d'une semaine après, Donald Trump proposait d'interdire à tous les musulmans d'entrer aux Etats-Unis «jusqu'à nouvel ordre». Une idée qui, aujourd'hui, est soutenue par plus de la moitié des Américains, dont une écrasante majorité d'électeurs républicains. «Les crimes islamophobes sont très préoccupants. Mais ce qui m'inquiète encore plus, c'est le fait que les préjugés antimusulmans soient aujourd'hui largement tolérés aux Etats-Unis», explique Brian Levin.
Avec sa rhétorique incendiaire, poursuit le professeur, Donald Trump a en quelque sorte libéré, légitimé et unifié la frange la plus extrémiste des Américains. «Des membres de groupes haineux participent à ses meetings, affirme-t-il, alors que mardi prochain aura lieu la dernière série de primaires avant les conventions, et notamment en Californie. Et pour la première fois depuis des décennies, on constate une quasi-unanimité parmi les dirigeants de ces groupes, qu'il s'agisse du Daily Stormer [un site d'info néonazi et suprémaciste blanc, ndlr], du Ku Klux Klan, etc. Tous disent : "Hey, Trump c'est notre gars. Et il protège les Blancs contre ces immigrés antichrétiens".»