Menu
Libération
Récit

Reconnaissance du génocide arménien : Berlin et Ankara jouent l’apaisement

Après le vote du Bundestag, jeudi, la Turquie a rappelé son ambassadeur en Allemagne, mais les deux Etats semblent vouloir contenir l’incendie.
Devant le Bundestag, jeudi à Berlin, des manifestants ont brandi le drapeau arménien. (Photo Hannibal Hanschke. Reuters)
publié le 3 juin 2016 à 19h51

La relation germano-turque «peut et va résister aux différences d'opinion», assurait vendredi matin Steffen Seibert, le porte-parole du gouvernement allemand, au lendemain de l'adoption par le Bundestag d'une résolution condamnant le génocide arménien et la complicité de l'Allemagne dans le massacre de 1915, qui avait fait jusqu'à 1,5 million de victimes à l'est de l'Empire ottoman.

La Turquie, qui nie toujours l'existence de ce génocide, avait menacé en amont d'une «détérioration des relations» entre les deux pays, au moment où Angela Merkel a plus que jamais besoin des Turcs pour résoudre la crise des réfugiés. Une mise en garde prise suffisamment au sérieux pour que la chancelière, son vice-chancelier (Sigmar Gabriel) et son ministre des Affaires étrangères (Frank-Walter Steinmeier) ne prennent pas part au vote de jeudi.

Manœuvre

L'optimisme relatif de Berlin sur la résistance de la relation germano-turque répond à des déclarations jugées «apaisantes» en provenance d'Ankara. Notamment du Premier ministre Binali Yildirim : «L'Allemagne et la Turquie sont deux alliés très importants. Personne ne doit s'attendre à ce que les relations entre les deux pays se détériorent totalement d'un seul coup à cause de cette décision ou de décisions semblables. Cela ne veut pas dire que nous ne réagirons pas et que nous ne dirons rien.»

La presse allemande souligne à l'unanimité que Yildirim ne s'exprime pas sans l'accord préalable du président, Recep Tayyip Erdogan. En tournée en Afrique, Erdogan a lui-même réagi de façon modérée par rapport à ses habitudes, se contentant d'affirmer que le vote du Bundestag «influencera sérieusement les relations entre les deux pays». La Turquie a rappelé son ambassadeur en Allemagne et convoqué le numéro 2 de l'ambassade allemande à Ankara pour lui adresser quelques remontrances. En langage diplomatique, cette manœuvre est plutôt modérée.

Mais le sujet reste sensible pour la population turque. Vendredi, des manifestants nationalistes se sont rassemblés devant le consulat d'Allemagne à Ankara, brandissant des pancartes sur lesquelles était écrit : «Le génocide arménien, le plus gros mensonge en cent ans.» A Berlin, plusieurs centaines de manifestants turcs s'étaient retrouvés jeudi pour protester. Une partie de la communauté turque redoute que ses enfants ne soient désormais exposés à l'école à une version de l'histoire qu'ils désapprouvent.

Le ministère turc des Affaires étrangères a d'ailleurs estimé dans un communiqué que le vote du Bundestag est une «tentative d'assimilation» des Turcs d'Allemagne. En 2008, lors d'un meeting électoral qu'Erdogan avait tenu en Allemagne devant ses supporteurs allemands, celui qui n'était alors que Premier ministre avait comparé l'assimilation à un crime contre l'humanité. Avant le vote de jeudi, plusieurs députés du Bundestag d'origine turque, comme le vert Cem Ozdemir, ont reçu des menaces de mort.

Croix gammée

Peu connue pour sa modération, la presse turque semblait vendredi ulcérée, qu'elle soit favorable ou non au président Erdogan. Le quotidien anti-AKP (le parti au pouvoir) Sözcü montrait Angela Merkel en uniforme nazi devant un drapeau à croix gammée, sous le titre «Honte à vous», en allemand dans le texte.

«Honte à toi, Allemagne ! Occupe-toi d'abord de ta propre histoire… Hitler est-il turc ?» se demande pour sa part le député AKP Burhan Kuzu. Le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, ajoute, dans la même veine : «D'abord tu fais brûler les Juifs, après tu accuses le peuple turc de génocide.»

«Pour la Turquie, la fierté nationale est visiblement en question avec ce vote, estime Bodo Ramelow, ministre-président du Land de Thuringe et membre du parti néocommuniste Die Linke. Au contraire, nous sommes d'avis que reconnaître ses erreurs passées est un pas vers la réconciliation.» Le chef du groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag, Volker Kauder, connu pour ses déclarations à l'emporte-pièce et ses positions critiques envers la Turquie, estime que le Bundestag a bien fait de ne pas céder aux pressions turques. «C'est un des droits démocratiques du Bundestag que de prendre position face à de telles entorses contre les droits humains, pour que ce genre de choses ne se répètent pas. Les menaces ne nous font pas peur. Elles nous rendent au contraire plus déterminés. Notre but n'a jamais été de condamner la Turquie mais d'envoyer un signal de réconciliation pour l'avenir.»