C’est quand le Ramadan ? Un sujet qui fait polémique en France mais pas dans le monde arabe…
Quand commence le ramadan ? Si la date du début du mois sacré a pu faire l'objet de débats en France, elle fait plutôt consensus dans le monde arabo-musulman. Il existe deux méthodes pour fixer la date du ramadan : l'observation des astres et le calcul scientifique basé sur le calendrier lunaire. Si l'on se réfère à la première, le début du mois de ramadan n'est connu que le 29e jour du mois précédent. C'est alors que les musulmans observent le ciel à la recherche du «hilal» (croissant de lune). S'ils le voient, le mois de ramadan débute le lendemain. Sinon, le surlendemain. Or, puisque l'Arabie Saoudite abrite les lieux sacrés de la Mecque et Médine, c'est elle qui décide, et les musulmans du monde entier suivent.
Ces dernières années, la France décidait de fixer le début du ramadan en fonction du calendrier lunaire. Ce qui donnait lieu à un ramadan décalé, mais cette année, le Conseil français du culte musulman (CFCF), suivi par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), a choisi de marquer son retour à la tradition. Résultat : tous les musulmans de France étaient censés commencer leur ramadan dès ce lundi 6 juin.
Peut-on dé-jeûner ? Et si oui, en public ?
Cette question anime l'émission de France 24 arabic Fi falak almamnou (Au cœur des interdits). Libération choisit de retranscrire une bonne partie de celle-ci, tant elle reflète les débats qui traversent régulièrement certaines sociétés arabes.
Le débat commence entre Khaled Amrane, le cheikh de la mosquée Al Azhar, en duplex du Caire, et Souhaib Bencheikh, ancien mufti (émetteur de fatwas, des avis religieux juridiques qui n'ont pas valeur de loi) de la ville de Marseille. Pour le cheikh (un homme respecté en raison de son grand âge et, surtout, de ses connaissances du Coran et de la Sunna), «le mois de ramadan est le mois dans lequel le prophète a reçu le Coran. C'est un mois sacré consacré à la prière et à la piété.» Il n'est donc pas question de manger en public en cette période sainte.
Souhaib Bencheikh est, lui, persuadé que «la pratique et le sens du ramadan ont profondément changé. En Algérie et dans d'autres pays où je me suis rendu dernièrement, le ramadan est devenu synonyme de fainéantise, de paresse… Tout tourne autour de la consommation, de la nourriture, des longues soirées à regarder des épisodes médiocres à la télévision…» Et de poursuivre : «Il ne faut pas que les musulmans succombent à cette religiosité par obligation.»
«J'ai décidé de ne pas pratiquer de façon standardisée ma religion, comme le font de nombreux jeunes musulmans de la même culture que moi. La majorité d'entre eux jeûnent par tradition, par habitude héritée de la culture musulmane et ancrée dans la société», estime quant à lui Hadi Zaydane, un jeune Libanais de culture musulmane, qui participe également à l'émission.
«Vous mangez en public, devant des gens qui font le ramadan ?» lui demande l'animatrice. «Je vis en France [donc le problème ne se pose pas, ndlr]. En revanche, si je vivais au Liban, on risque de très mal le prendre... C'est quasiment impossible d'aborder ce sujet librement dans certains milieux sociaux», rétorque-t-il. Deuxième question : «Etes-vous conscient que votre discours peut blesser les musulmans qui font le ramadan ?» «Encore une fois, ma relation avec Dieu est une relation que je vis au quotidien, si on devait mesurer le degré de ma foi, ça n'aurait aucun sens de le faire en fonction de mon choix de ne pas faire le ramadan», affirme-t-il.
Le cheikh d'al-Azhar comprend-il cette attitude ? Oui mais non...: «Ce sont ses convictions, nous les respectons à partir du moment où il ne fait pas de "prosélytisme", c'est-à-dire où il ne mange pas en public.» En d'autres termes, le problème, c'est ceux qui ne font pas le ramadan au vu et au su de tous. «Parce que quand nous sommes dans un pays musulman, il faut se plier à sa loi (...). Non seulement l'Etat est dans son droit mais il doit assurer la sécurité de son âme comme celle de sa finance et de son économie», rétorque un autre intervenant, Lahcen Ben Brahim, professeur à l'université Mohammed-VI de Rabat. Ce à quoi le mufti réplique : «La pensée islamique n'a jamais déterminé une punition spécifique pour ceux qui ne pratiquent pas tel ou tel précepte de la religion, sauf en ce qui concerne la prière. Ce discours que je porte combat l'hypocrisie et se focalise sur ce qui fait l'essence même de la religion : le comportement et la foi...».
Il est aussi question de la temporalité du ramadan, notamment en Europe. Dans un pays comme la France, en cette saison, le jeûne, qui dure du lever au coucher du soleil, dure dix-huit heures par jour. Dans les pays scandinaves, il peut atteindre plus de vingt heures... Le problème se pose particulièrement pour les populations musulmanes installées dans ces pays. «Dans le cas des pays où le jeûne dépasse les dix-huit heures, on peut se référer à l'horloge de la Mecque», répond le professeur.
Pourquoi cette peur du dé-jeûne dans l'espace public ?
L'analphabétisme
Un activiste marocain du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), Mehdi Ben Khaoua, en duplex de Rabat, relie cette peur au taux d'analphabétisme élevé : «Je pense que la majorité des Marocains sont musulmans, que ce soit d'un point de vue religieux et/ou culturel, et très attachés aux traditions. Au Maroc, le taux d'analphabétisme est très élevé... La problématique aujourd'hui au Maroc n'est pas de savoir si on a le droit de ne pas jeûner et, pas encore, de dire si on peut le faire publiquement ; mais plutôt de leur faire prendre conscience de leurs droits.»
Pour ce militant, le ramadan rime avec hypocrisie : il signale que la prière est un pilier bien plus important que le ramadan et s'étonne toujours de voir que les Marocains attendent l'approche du ramadan pour se rendre à la mosquée, avant de conclure que l'enjeu du ramadan est davantage traditionnel que religieux. Par ailleurs, si au Maroc, l'alcool est censé être interdit -dans le droit marocain, la vente d'alcool est interdite aux musulmans toute l'année par un dahir datant de 1967-, ce n'est que quelques jours avant le ramadan que cette loi est appliquée en bonne et due forme. Avec la fermeture des débits d'alcools, des bars et l'obligation de ne pas servir d'alcool aux musulmans, donc à tout Marocain conformément à la loi. Aussi, la vente d'alcool aux Marocains pendant le ramadan expose les responsables d'établissements disposant d'un débit de boissons à une peine allant d'un à six mois d'emprisonnement et d'une amende de 300 à 1 500 dirhams (entre 27 et 136 euros).
L'outrage
Lahcen Ben Brahim avance une autre explication à ce refus du dé-jeûne public : «L'islam a cinq piliers. Si un pilier est ignoré, il n'y a pas d'islam. Manger ou boire en public est par conséquent un outrage et ne peut être toléré dans un pays musulman : c'est la loi». En ce sens, il rejoint le cheikh d'Al-Azhar. Quand au mufti et chercheur Souhaib, il suggère que cette situation incite les gens à jeûner par peur, peur d'être puni, peur du regard de la société, avant d'ajouter qu'«il faut pouvoir choisir et que c'est le principe même de la foi et de la religion et le seul rempart contre l'hypocrisie.»
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Plus de 10 pays arabo-musulmans punissent les boycotteurs de ramadan en public
Peines pénales plus ou moins explicites, pression sociale… Chaque pays a sa propore recette destinée aux non-jeûneurs. Parmi eux, l’Arabie Saoudite, le Maroc, l’Algérie, les Emirats arabes unis, la Jordanie...
Au Maroc La punition est la plus radicale. Elle est inscrite dans le Code pénal via l'article 222, qui stipule que «tout individu notoirement connu pour son appartenance à l'islam qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le ramadan est passible de un à six mois d'emprisonnement et d'une amende».
Il y a de nombreux précédents dans le royaume. Le plus récent date de l'été 2015 où cinq personnes ont été arrêtées lundi 6 juillet à Marrakech sur la place Jemaâ El Fna pour avoir bu un jus d'orange en plein après-midi. Autant d'arrestations dénoncées par certains citoyens, notamment regroupés dans le MALI (ce mouvement avait d'ailleurs tenté d'organiser un pique-nique public pendant le ramadan en 2009 avant d'être bloqué par les forces de l'ordre).
En Algérie L'article 144 bis 2 du Code pénal instaure «des peines d'emprisonnement de trois à cinq ans pour quiconque offensera le prophète (…) et dénigrera les dogmes de l'islam par voie d'écrit, de dessin, de déclaration et de tout autre moyen». Une loi vague mais suffisamment pour incriminer les «dé-jeûneurs» du ramadan. Plusieurs Algériens en ont déjà fait les frais à coups de brimades et d'intimidations. En 2010 la sanction de la part de la justice algérienne a été particulièrement lourde : près de quinze personnes avaient été jugées pour«atteinte à l'islam», dont Farès, un jeune qui a pris deux années ferme. Il s'agit du premier Algérien incarcéré dans le pays pour ne pas avoir jeûné. A noter que cet article de loi est en contradiction avec la Constitution algérienne qui stipule que «la liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables» (article 36).
En Arabie Saoudite Le royaume est le seul pays à imposer le respect du jeûne du ramadan sur la place publique à tous, y compris à ses résidents étrangers (près de 9 milllions) non musulmans sous peine d'expulsion. Si cette obligation n'est pas incrite dans le loi, elle émane directement du ministère saoudien de l'Intérieur (par communiqué).
En Jordanie Le droit pénal comprend «le crime d'honneur» dont fait partie le dé-jeûne : «Celui qui mange en public pendant la période de jeûne du mois de ramadan sera puni d'un mois d'emprisonnement ou contraint à payer une amende», stipule l'article 274.
Aux Emirats Arabes Unis L'obligation d'observer le jeûne est inscrite dans le Code pénal émirati. Il s'agit de l'article 313 qui prévoit une peine pouvant aller jusqu'à plus de 500 dollars d'amende et même un mois d'emprisonnement.
En Egypte Ne pas jeûner pendant le ramadan n'est pas un acte pénalement répréhensible. Ce qui n'a pas empêché des Egyptiens d'être arrêtés pour flagrant délit de déjeuner : c'est le cas d'un habitant d'Assouan, une ville du sud du pays, en 2010. Les policiers ont en fait appliqué une loi en vigueur à l'époque, sous le régime du dictateur déchu Hosni Moubarak, qui leur permettait de définir eux-mêmes ce qui constituait une «atteinte à l'ordre public». C'est illégal aujourd'hui mais la pression sociale est de leur côté. D'alleurs, la plupart des restaurants et cafés n'ouvrent pas avant l'heure du ftour (le repas pris par les musulmans au coucher du soleil pour rompre le jeûne).
En Tunisie Unique Etat laïc dans le monde arabe, la Tunisie permet à tout un chacun de jeûner ou pas. Cela dit, si de nombreux Tunisiens mangeaient et buvaient au grand jour à une époque (on se souvient de l'appel émis par feu le président Bourguiba en 1961 de ne pas respecter le jeûne pour combattre le sous-développement), la pression sociale est de plus en plus forte.
Et le régime alimentaire dans tout ça ?
L'Institut national de la consommation tunisien a observé à l'orée de ce mois de ramadan une surconsommation de produits alimentaires qu'il qualifie d'«alarmante». Sans surprise, c'est la consommation du sucre qui atteindrait 60% des apports alimentaires en ce mois saint, provoquant de nombreuses maladies dont le diabète. Un phénomène qui touche chaque année de nombreuses populations de jeûneurs si bien que le ftour light est la nouvelle tendance, particulièrement en vogue au Maghreb...
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Pourquoi cette mode du light ? Pour éviter les maladies mais aussi les variations importantes de poids... comme l'explique le Docteur Danguir, spécialiste en nutrition, au HuffPost Tunisie. D'après lui, c'est «chez les personnes souffrant de surpoids ou d'obésité (70% des Tunisiens) que ramadan, tel qu'il est vécu ici (en Tunisie, ndlr) bien sûr, a les effets les plus dramatiques. En effet c'est une prise de poids et, essentiellement de graisse, de 4 à 6 kg qui est observée à la fin de ramadan. Le plus grave c'est que cette prise de poids n'est que très rarement réversible».
Il alerte aussi sur la baisse de l'attention qui peut découler du décalage du sommeil, engendré par le ftour -tardif par définition- : «En temps normal, on dort la nuit parce qu'on mange le jour. Manger exclusivement la nuit ne peut que décaler la survenue du sommeil et entraîner donc une baisse de la vigilance durant la journée».
Pour info
Une nouvelle revue française, Téléramadan, est parue ce lundi 6 juin. Son objectif ? Raconter l'islam autrement. Voici un extrait de son éditorial (que vous pouvez lire ici en intégralité):
«Tous les jours, nous devions entendre "islam" à la télévision. Nous devions accepter "les débats" qui n'allaient nulle part ailleurs. Nous devions comprendre que "l'islamophobie" n'existait pas et que certains hommes politiques voulaient radier les musulmans de l'espace public. D'ailleurs, nous devions éviter de dire "musulman" pour ne pas effrayer les effarouchés. Téléramadan est né de ces frustrations. De ces "analyses" qui n'apportaient aucune réflexion à longueur de journaux. De ces chaines de télé qui comblaient le vide par l'hostilité. De ces mots qu'on lançait comme des bombes pour faire sursauter les âmes».
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