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Trump menace-t-il les relations entre les Etats-Unis et la Chine ?

Washington et Pékin se réunissent ces lundi et mardi lors du huitième dialogue stratégique et économique. Si le candidat républicain a multiplié les attaques contre Pékin, le gouvernement chinois s'est jusqu'ici montré plutôt conciliant.
Le candidat républicain Donald Trump, ici à Eugene, Oregon le 6 mai 2016 (Photo Rob Kerr. AFP)
publié le 7 juin 2016 à 9h21

Washington et Pékin se réunissent lundi et mardi pour le huitième «dialogue stratégique et économique». Alors que l'administration de Barack Obama a fait de l'Asie du Sud-Est la priorité de sa politique étrangère, tout pourrait changer si Donald Trump devenait le nouveau président des Etats-Unis. Le candidat républicain a multiplié les attaques contre Pékin pendant sa campagne et promet de transformer radicalement ses relations économiques avec la Chine. De quoi exacerber les tensions entre les deux géants.

«On ne peut pas continuer à laisser la Chine violer notre pays»

Dans le classement des grandes obsessions de Donald Trump, la Chine figure au moins dans le top 3. Depuis le début de la campagne présidentielle, le candidat républicain multiplie les petites phrases acerbes contre Pékin. Dans une interview à CNN, il résumait ainsi : «La Chine s'est enrichie grâce aux Etats-Unis. Elle s'est reconstruite grâce à l'argent et aux emplois qu'elle a pompés ici.» Les Chinois auraient donc réussi «à faire disparaître des millions d'emplois productifs sur le sol américain». Donald Trump accuse aussi la Chine de manipuler le cours du yuan pour «affaiblir la base industrielle des Etats-Unis» et de construire «une grande muraille protectionniste qui empêche les entreprises américaines de pénétrer le marché chinois». Les Chinois coupables, encore, du réchauffement climatique, un «concept créé par et pour les Chinois dans le but d'affaiblir la compétitivité de l'industrie américaine».

Mais ce qui irrite sans doute le plus Donald Trump, c'est la balance commerciale inégale que les Etats-Unis entretiennent avec la Chine : en 2015, le déficit commercial s'élevait à 365,7 milliards de dollars. Une raison de déclarer, lors de son meeting du 1er mai, à Fort Wayne (Indiana): «On ne peut pas continuer à laisser la Chine violer notre pays.»

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Donald Trump a donc proposé une improbable stratégie pour rééquilibrer la balance commerciale avec la Chine : des droits de douane allant jusqu'à 45% sur les importations chinoises. «Cela n'a pas de sens ! s'exclame Mary-Françoise Renard, économiste et responsable de l'Institut de recherche sur l'économie de la Chine (Idrec). Les Etats-Unis importent de Chine essentiellement des produits qu'ils ne fabriquent plus. La première conséquence de cette taxe serait donc d'augmenter le coût pour le consommateur américain sans pour autant créer des emplois.»

La Chine conciliante avec le candidat républicain

Jusqu'ici, les multiples attaques de Donald Trump n'ont pas suscité la colère de Pékin. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hong Lei, s'est contenté d'appeler les Américains à «considérer les relations sino-américaines d'un œil raisonnable et objectif». Autant de nuances et de bienveillance de la part du ministre des Finances, Lou Jiwei, qui expliquait dans un entretien accordé au Wall Street Journal : «Je ne prends pas trop au sérieux les discours électoraux.»

Alors pourquoi le gouvernement chinois est-il aussi conciliant avec Donald Trump ? D'après Mary-Françoise Renard, Donald Trump représente une menace bien moins grande pour la Chine que sa principale rivale, Hillary Clinton. «Je crois que le gouvernement chinois pense négocier plus facilement avec Trump qu'avec Clinton, qui est quelqu'un d'expérimenté et qui défendra probablement bien les intérêts des Etats-Unis. Trump est beaucoup plus amateur, et sans doute les autorités chinoises se sentent-elles plus à l'aise pour trouver un terrain d'entente avec lui.»

Clinton, plus dérangeante

Hillary Clinton est moins frontale mais beaucoup plus dérangeante pour Pékin. Les Chinois la connaissent surtout en défenseur du droit des femmes depuis une conférence tumultueuse donnée à Pékin en 1995. Sa critique des droits humains et de la situation en mer de Chine en a fait une ennemie du régime. Au contraire, Donald Trump a soigneusement évité les sujets sensibles et s'est attiré les faveurs de la Chine en proposant de réduire la présence militaire des Etats-Unis au Japon ou en Corée du Sud. «La menace de Trump de se désengager d'Asie est plutôt une bonne nouvelle pour la Chine qui veut rétablir sa domination et son influence dans cette zone, explique Mary-Françoise Renard. Cela pénaliserait les autres pays qui bénéficient du soutien américain.»

Au-delà des calculs géopolitiques, la Chine semble être tombée sous le charme du milliardaire américain. Fin mars, le quotidien anglophone Global Times, organe du gouvernement chinois, a publié un sondage créditant Donald Trump de 54% de bonnes opinions. Des résultats qu'il tire notamment du succès de son émission de télé-réalité The Apprentice, qui a suscité l'engouement du pays. Le profil de Donald Trump, self-made-man et patron richissime, séduit la population chinoise, d'après Mary-Françoise Renard. Elle confirme que «de nombreux Chinois apprécient beaucoup les chefs d'entreprise qui ont réussi, ce qui est l'image donnée par Trump».

Crise en mer de Chine, casse-tête taïwanais et indomptable Corée du Nord

Les spécialistes ne sont pas tous sereins quant aux conséquences d'un Trump à la Maison Blanche. Certains s'inquiètent d'une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Dans un rapport, l'économiste Robert Powell, du centre de recherche Economics Intelligence Unit, estime même que «si Donald Trump devenait président, la contraction du PIB mondial serait d'environ 1%».

Les enjeux des relations sino-américaines vont bien au-delà de l'économie : l'issue de la crise territoriale en mer de Chine méridionale, du casse-tête taïwanais et de l'indomptable Corée du Nord dépendront aussi du résultat de l'élection américaine de novembre. Lundi, à l'ouverture du huitième «dialogue stratégique et économique», le président Xi Jinping a plaidé pour que «la vaste [région] du Pacifique soit un espace de coopération et non pas de compétition». Un souhait que Donald Trump ne semble pas prêt à exaucer.