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Rohingyas

En Birmanie, Aung San Suu Kyi s'attaque au casse-tête de la nationalité

Dans l’Etat de l’Arakan, à majorité musulmane, le gouvernement a lancé une vaste campagne pour régulariser la situation de milliers d'apatrides.
Village rohingya de Ohn Taw Gyi, dans l'Etat d'Arakan, le 28 octobre. (Photo Arnaud Vaulerin)
publié le 10 juin 2016 à 17h36

Depuis mardi, des fonctionnaires birmans parcourent l’Etat de l’Arakan, à la frontière avec le Bangladesh. Leur objectif : recenser le nombre de personnes ayant une carte bleu ciel dans leur poche. Ce document sert de papier d’identité aux habitants de la zone qui n’ont pas la nationalité birmane. Parmi eux, de nombreux Rohingyas, minorité musulmane opprimée en Birmanie et considérée comme l’un des groupes les plus persécutés au monde par l’ONU.

Environ 1,3 million de Rohingyas vivent en Birmanie, dont 800 000 dans l'Etat de l'Arakan. Depuis une loi votée en 1982, la minorité n'est plus reconnue comme l'une des 135 ethnies répertoriées, rendant ainsi ses membres apatrides. Ils sont opprimés, privés de leurs droits et obligés de vivre dans des camps de fortune à la frontière avec le Bangladesh.

Recenser

Aujourd'hui, le parti d'Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis novembre et accusé d'inaction sur le dossier des minorités, veut recenser le nombre exact d'apatrides dans l'Etat. Mais hors de question d'organiser une régularisation massive : chaque dossier doit être étudié au cas par cas. D'où l'existence d'une carte bleue donnant des informations sur l'individu.

Le processus s'annonce long et difficile. Le plan doit durer cent jours, mais Myint Kyaing, le ministre de l'Immigration et de la Population, envisage déjà de le prolonger de six mois. «Si nous ne sommes pas capables de finir dans les cent jours, nous considérerons un plan de six mois. Nous commençons dans trois villes de l'Arakan mais à terme, le plan a vocation à être national»,, a-t-il déclaré au Myanmar Times, le principal quotidien birman.

Jusqu’en 2015, les Rohingyas avaient le droit à une carte blanche leur donnant le droit de vote. A l’approche des élections législatives de novembre, les premières libres depuis vingt-cinq ans, la junte militaire au pouvoir les confisque. Puis propose en échange une carte bleu ciel. En lançant cette campagne, le nouveau gouvernement continue donc une campagne mise en suspens par les élections.

Renier

Le Myanmar Times précise que les nouvelles cartes n'incluent pas de distinction de «race» ou de «religion» pour «éviter les controverses sémantiques et les conflits sectaires». Mais les Rohingyas, eux, veulent au contraire affirmer leur appartenance à leur groupe ethnique, et être reconnus comme tels. Selon Radio Free Asia, financée par les Etats-Unis, de nombreux Rohingyas refusent de répondre au formulaire de recensement. Myint Kyaing est pourtant ferme : seuls les individus ayant la carte pourront passer les multiples étapes administratives leur donnant le sésame. Jusqu'alors, le seul recours des Rohingyas pour obtenir la nationalité était de s'autonommer «Bengali», c'est-à-dire originaire du Bangladesh, sous-entendant ainsi qu'ils sont immigrés illégaux.

En mai, une représentante de l'Etat de l'Arakan avait sommé le gouvernement d'Aung San Suu Kyi de prendre en charge le cas de ces apatrides. «Les Bengalis viennent de la zone entre la Birmanie et le Bangladesh et ne sont pas une minorité nationale enregistrée. Ils sont entrés de façon illégale et troublent le pays», a affirmé au Parlement la représentante. Selon elle, la loi sur la citoyenneté de 1982 devrait être un élément suffisant pour déterminer si une personne est un «faux» ou «vrai» citoyen. Et dans le cas où elle ne serait pas éligible, elle devrait quitter le territoire.

«Soyons réalistes, leur donner la nationalité ne sera possible uniquement s'ils cessent d'insister et de demander à garder leur nom et leurs droits en tant qu'ethnie», a aussi déclaré Maun Maung Ohn, député de la LND et ancien dirigeant de l'Etat de l'Arakan.