Les primaires sont (presque) terminées : on connaît désormais les candidats, Hillary Clinton côté démocrate, Donald Trump, chez les Républicains pour l'élection présidentielle américaine. Pour ne rien rater avant le rendez-vous du 8 novembre, Libération fait chaque semaine le point sur la campagne.
Notre point hebdomadaire change de format en cette semaine qui marque la fin des primaires démocrate et républicaine et la bascule vers l'élection présidentielle de novembre.
Le billet d’Amérique
Trump, le racisme et l'hypocrisie des Républicains
Dans un monde idéal, les cadres du parti républicain aimeraient conserver les bons côtés de Donald Trump - à supposer qu'il y en ait - et effacer les mauvais. Malheureusement pour les Paul Ryan, Ted Cruz et autres John McCain, un tel monde n'existe pas et «The Donald» est un «full package», candidat garanti toutes options, y compris les plus répugnantes. A prendre ou à laisser.
Ses attaques à répétition contre le juge Gonzalo Curiel, qui instruit à San Diego le procès pour fraude contre la défunte Trump University, en sont un nouvel exemple. Donald Trump accuse ce juge fédéral américain, né dans l'Indiana, d'être partial en raison de ses origines mexicaines. «Il est fier de son héritage. C'est un Mexicain. Nous sommes en train de construire un mur entre ici et le Mexique. La conséquence, c'est qu'il rend des jugements très injustes», assure le magnat de l'immobilier.
Ces propos choquent à plusieurs titres dans la bouche d’un candidat majeur à la présidence américaine. D’abord, parce qu’en tant que prétendant au pouvoir exécutif suprême, il attaque de plein fouet l’indépendance de la justice. Ensuite, parce qu’en accusant le juge de parti-pris en raison de ses origines, le magnat de l’immobilier ouvre une dangereuse boite de Pandore. A ce jeu-là, un magistrat noir serait incapable de traiter équitablement un citoyen blanc, et inversement. Enfin, et surtout, les propos de Donald Trump choquent parce que le juge Curiel n’est pas mexicain mais américain. En affirmant le contraire, le candidat le rabaisse à une citoyenneté de seconde zone.
Donald Trump lors d’un meeting électoral dans l’Etat de New York, le 7 juin 2016. Photo AFP
Vent debout, les démocrates dénoncent une attaque raciste qui insulte les fondements de l'Amérique. Les républicains ne sont pas en reste : propos «offensants et erronés» selon la sénatrice Ayotte, «complètement inacceptables» pour l'ancien président de la Chambre, Newt Gingrich.
Si les responsables du parti républicain avaient un minimum de courage politique, ils auraient désavoué Donald Trump depuis longtemps. Rappelons qu'il a lancé sa campagne en traitant les immigrés clandestins mexicains de «violeurs» et de «trafiquants de drogue», et qu'il suggère d'interdire temporairement l'entrée des Etats-Unis aux musulmans. Au lieu de ça, depuis l'abandon début mai de Ted Cruz, le dernier rival de Donald Trump, l'establishment du GOP (Grand Old Party) rentre peu à peu dans le rang. Aveuglés par leur haine d'Hillary Clinton, plus forte encore que celle qu'ils vouent à Obama, horrifiés par l'idée qu'elle puisse faire pencher la Cour suprême du côté progressiste, les républicains sont prêts à voter Trump, quitte à se boucher le nez.
Parmi les rares voix discordantes, celle de Lindsey Graham, sénateur de Caroline du Sud. Outré par ses saillies contre le juge Curiel, il a appelé les républicains ayant annoncé leur soutien à Trump à faire machine arrière. «C'est la chose la plus anti-américaine venant d'un politicien depuis Joe McCarty, Si quelqu'un cherche une rampe de sortie, c'est probablement l'occasion. Viendra un moment où l'amour du pays primera sur la haine d'Hillary», a-t-il confié, sans fard, au New York Times.
Une opinion que ne partage manifestement pas le président républicain de la Chambre des représentants. «Dire d'une personne qu'elle ne peut pas faire son travail en raison de son ethnicité est un cas d'école de commentaire raciste», a certes déclaré Paul Ryan, qualifiant les propos de Donald Trump d«absolument inacceptables». Mais pour le troisième personnage de l'Etat, pas question pour autant de lâcher le magnat new-yorkais : «Je désavoue ces propos mais est-ce que je pense qu'Hillary Clinton est la solution, non je ne le crois pas. Il est plus probable que notre politique soit appliquée avec lui qu'elle ne le soit avec elle», a-t-il conclu. En clair : Donald Trump est un raciste, mais c'est notre raciste. Et mieux vaut un raciste qu'Hillary Clinton dans le bureau ovale.
De notre correspondant aux Etats-Unis, Frédéric Autran
La polémique de la semaine
Hillary Clinton et sa veste à 12 000 dollars
Décidément, ces primaires auront été difficiles jusqu’au bout pour Hillary Clinton (photo AFP)… Sortie vainqueur du dernier «Super Tuesday» ce mardi, avec des succès dans tous les Etats-clé de la soirée à
commencer par la Californie,
[ où elle a devancé Bernie Sanders de plus de douze points ]
, l’ancienne secrétaire d’Etat n’a pas eu le temps de se réjouir. Dans le même temps, elle était en effet au cœur d’une polémique dont elle se serait bien passée. De fins limiers américains se sont en effet rendus compte qu’en avril, la candidate démocrate avait prononcé un discours sur la lutte contre les inégalités…
[ vêtue d’une veste Armani chiffrant à 12000 dollars ]
. Il faut dire que l’équipe de campagne d’Hillary Clinton lui a fait changer toute sa garde-robe ou presque pour lui conférer une allure de «présidentiable». Une opération que le New York Post chiffre
[ à 200 000 dollars minimum… ]
La rencontre de la semaine
Quand Barack rencontre Bernie
Primaires achevées, Bernie Sanders, qui aura donc tenu tête à Hillary Clinton pendant plus de quatre mois, s'est fait «convoquer» à la Maison blanche. Ce jeudi, Barack Obama reçu le sénateur du Vermont pour l'inciter à enfin se désister, puisqu'il n'a aucune chance d'obtenir l'investiture lors de la convention démocrate de juillet, ce qui faciliterait la tâche d'Hillary Clinton… Pas décidé à lâcher le morceau, Sanders a néanmoins donné quelques signes de bonne volonté cette semaine : après avoir assuré mardi soir, à l'issue des derniers scrutins, qu'il ferait «tout» pour empêcher l'élection de Trump, il a déclaré à l'issue de son entretien avec Obama qu'il voulait rapidement rencontrer Clinton «pour voir comment nous pouvons travailler ensemble afin de vaincre Donald Trump et de créer un gouvernement qui nous représente tous».
Alors qu'il ne reste plus qu'un scrutin symbolique, à Washington DC, ce mardi, l'hypothèse actuelle serait que Sanders annonce son retrait de la course à l'issue de cette ultime primaire. Mais Barack Obama, lui, n'a pas attendu cette ultime échéance pour annoncer son soutien à Hillary Clinton d'un sobre mais efficace «I'm with her».
Thanks, Obama. https://t.co/DzKgMFgdmP
— Hillary Clinton (@HillaryClinton) June 10, 2016
Le fail de la semaine
Claques et tacles en série pour Donald Trump
Si l'homme d'affaires est assuré d'obtenir l'investiture du parti républicain cet été, la campagne n'est pas tous les jours facile. Cette semaine, l'impétrant s'est pris un tacle du média Buzzfeed, qui a décidé ne pas diffuser sur son site de publicité pro-Trump. «La campagne de Trump est directement opposée à la liberté de nos employés aux Etats-Unis et partout dans le monde, et dans certains cas, comme avec sa proposition d'interdire les musulmans de voyager aux Etats-Unis, il serait impossible pour nos employés de faire leur travail», a justifié le PDG du site, Jonah Peretti. Certes, ce n'est pas une pique du New York Times, mais l'influence de Buzzfeed sur, notamment, la jeunesse américaine, n'est pas à sous-estimer...
Autre petite claque médiatique : l'actrice Meryl Streep s'est grimée en Donald Trump - teint orange, cheveux choucroutés, gros ventre - à l'occasion d'un gala de charité cette semaine, et s'est bien foutue de lui. L'actrice, qui soutient Hillary Clinton, a chanté : «On pourrait faire affaire - vous me direz ce que vous en pensez - pourquoi les femmes disent-elles toujours non ?», modifiant les paroles de Brush Up Your Shakespeare (de la comédie musicale Kiss me, Kate), et faisant référence aux propos sexistes souvent tenus par Trump.
Dans la foulée, voilà que Donald Trump en a appris une bonne : la seule femme politique à qui il ait apporté son soutien, Renee Ellmers, a perdu son poste au Congrès de Caroline du Nord, de trente points lors d'une primaire. Trois jours avant le vote, Trump avait affirmé : «Renee a été la première élue au Congrès à m'apporter son soutien, et c'est une sacrée battante. Ensemble, nous allons rendre l'Amérique super à nouveau.» Sauf que du coup, ça sera sans elle.
On conclut cet épisode des Malheurs de Donnie par une anecdote plus légère : une campagne, Tramps Against Trump (en gros, les vagabonds contre Trump), a été lancée pour inciter les citoyens américains à ne pas voter pour l'homme d'affaires. En échange de quoi, les membres de la campagne promettent d'envoyer une photo de nu un peu cul, comme celle-ci (capture d'écran) :
Allez, c'était une sale semaine pour Trump, mais ses partisans pourront se consoler ce week-end en faisant un tour sur Trumpsingles.com, un nouveau site de rencontres reservé aux fans de l'homme-carotte.
Pour aller plus loin...
Nous vous proposons désormais chaque semaine une sélection d'articles en VO, pour se plonger encore plus dans la campagne. Au menu cette semaine :
• Dans une chronique, le Washington Post explique pourquoi, si le parti républicain s'était doté d'un système de superdélégués similaire à celui du parti démocrate, Donald Trump n'aurait jamais été en position d'être investi candidat du parti républicain. A lire, en anglais, ici.
• Le New York Times, lui, s'interroge sur les raisons qui poussent Bernie Sanders à ne pas abandonner officiellement sa campagne (et à poursuivre donc levées de fonds et apparitions publiques), alors que sa rivale a dans la poche suffisamment de délégués et superdélégués pour être investie. Les explications du quotidien de référence américain, ici.
• Enfin, un journaliste du Boston Globe a écrit cette semaine un édito où il explique pourquoi il commence à apprécier l'impact de Donald Trump sur la campagne. Un sentiment inhabituel pour lui qui n'aime pas le magnat de l'immobilier et n'en partage pas les idées. Mais, affirme-t-il, Trump pousse à explorer les clivages politiques de l'Amérique, d'une façon nouvelle. A lire ici.