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Euro : l'Allemagne hantée par son Mondial 2006

Un succès de la Mannschaft, qui débute sa compétition ce dimanche soir face à l'Ukraine, permettra de mettre de côté les scandales de corruption autour de la Coupe du monde qu'elle organisait il y a dix ans, comme les polémiques racistes lancées par le parti d'extrême droite AFD.
L'équipe de Joachim Löw est l'une des favorites pour cet Euro. (Patrik Stollarz. AFP)
publié le 12 juin 2016 à 11h51

Les Allemands – qui jouent ce dimanche à Lille leur premier match contre l’Ukraine - figurent parmi les favoris de l’Euro, malgré leurs problèmes de défense, avec la défection pour blessure de plusieurs joueurs. Championne du monde en titre, la Mannschaft revient de loin, éclaboussée à l’automne par le scandale de l’achat du Mondial de 2006, la démission du président de la Fédération allemande de Football (DFB), les soupçons de versement de pots-de-vin pesant sur l’indéboulonnable Franz Beckenbauer – l’ex-président du Comité de candidature puis d’organisation du Mondial 2006 –, et finalement les attaques racistes contre les joueurs du parti populiste AFD… Xénophobie et corruption, on est loin du mythe du «conte d’été», cet élan de patriotisme bon enfant, d’organisation impeccable et de presque victoire qui avait caractérisé le Mondial 2006. Pour la première fois depuis la guerre, les Allemands arboraient avec fierté le drapeau national, trinquant joyeusement sous un ciel immaculé avec des millions de fans venus du monde entier, et découvraient avec délice le miracle Jürgen Klinsmann, entraîneur d’une équipe arrivée troisième au Mondial.

«Football presque brésilien»

L’Allemagne peut-elle s’attendre à une réédition du conte d’été, dix ans plus tard ? Oui, si on en croit les calculs de trois professeurs d’économie et de sociologie, rappelant que depuis 2006, l’équipe pesant le plus lourd sur le marché des transferts est aussi celle qui a remporté l’Euro ou le Mondial. L’Allemagne (562 millions d’euros de valeur cumulée de ses joueurs) l’emporterait ainsi face à l’Espagne (558 millions d’euros) après avoir dominé la France (487 millions d’euros) en demi-finales.

«Pour l'instant, les Allemands ont oublié le scandale du Mondial 2006 acheté à coups de pots-de-vin, estime Diethelm Blecking, historien et spécialiste du sport de l'université de Fribourg. Tant que le ballon roule, la politique passe au second plan. Mais c'est une des caractéristiques du football, que si les Allemands jouent mal, tout va remonter à la surface. Pour l'heure, entre la crise des réfugiés, les tensions avec la Turquie et au sein de la coalition, les Allemands ont besoin d'un nouveau conte d'été. L'équipe d'Allemagne joue depuis 2006 un football presque brésilien, léger, élégant et inventif, les joueurs sont sympathiques, ils présentent une nouvelle image de l'Allemagne depuis l'époque de Klinsmann…»

En octobre, le mythe prenait un sérieux coup. Le magazine der Spiegel révélait que l'Allemagne aurait acheté l'attribution du Mondial 2006 au moyen d'une caisse noire alimentée par l'ancien directeur d'Addidas Robert Louis-Dreyfus, entre-temps décédé. Ce dernier aurait effectué à cet effet un prêt personnel de 10,3 millions de francs suisse (9,49 millions d'euros), remboursé grâce à un transfert d'argent fictif. Selon le Spiegel, le DFB aurait acheté quatre voix asiatiques.

Déballage

Le DFB, qui rejette en bloc les accusations de corruption, reconnaît l'existence du transfert via la Suisse. Son président, Wolfgang Niersbach, endosse la responsabilité de l'affaire et démissionne. Franz Beckenbauer se mure lui dans le silence. Une enquête judiciaire est en cours. Mais les observateurs doutent que la lumière soit un jour faite sur cette affaire. «Le problème du sport est l'existence d'un droit subsidiaire, avec le système des arbitres, rappelle Carsten Momsen, spécialiste du sport de l'université Libre de Berlin. Les scandales – doping, corruption… – arrivent rarement jusqu'au ministère public. Et lorsqu'un procureur se saisit d'un dossier, il est très difficile de réunir des preuves. Je doute que le nouveau président du DFB Reinhard Grindel ne contribue à faire toute la lumière sur cette affaire. Il est issu lui aussi du système.» Reinhard Grindel, trésorier du DFB depuis 2013, ancien député du parti conservateur CDU, ancien journaliste, inconnu du grand public et réputé pâlot, a été élu en avril à la tête du DFB. A la surprise générale : rien ne le prédestinait à une telle carrière au sein de la plus grosse fédération nationale de football. «Niersbach a fait une erreur, mais il ne faut pas non plus exagérer. Il ne s'est pas enrichi, comme Platini», souligne le nouveau boss du DFB, visiblement plus intéressé par la candidature de l'Allemagne pour l'organisation de l'Euro 2024 que par un grand déballage autour du scandale.

Un parti semble pourtant décidé à gâcher la fête : le parti populiste AFD, crédité de 10 à 15 % des intentions de vote, selon les sondages. Les dirigeants de cette petite formation ouvertement anti-islam concentrent depuis fin mai leurs attaques contre les joueurs issus de l'immigration au sein de la Mannschaft. Le vice-président du parti estime que «les Allemands ne veulent pas avoir Jérôme Boateng comme voisin [le père du joueur est ghanéen, ndlr] même s'ils l'apprécient comme joueur». «C'était une erreur de stratégie, estime l'historien du sport Diethelm Blecking, rappelant la légère chute du parti dans les sondages depuis. L'AFD, s'inspirant du Front national, cherche toujours de nouvelles pistes pour un scandale : les réfugiés, l'Union européenne, et maintenant l'équipe d'Allemagne. Boateng est un très chic type, très apprécié du public.» Les réactions du public ne se sont pas fait attendre : «Jérôme, viens habiter près de chez nous !» réclamaient les supporters sur des affiches brandies dans le stade, en soutien au joueur.