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Libération
Reportage

Orlando : «A chaque fois que j’entendais un coup de feu...»

Massacre à Orlandodossier
L'émotion est immense dans la communauté LGBT d'Orlando, après la tuerie qui a fait 50 morts dimanche.
«Stop à la haine» «Nous vaincrons», à Orlando, Floride, dimanche. (Photo Steve Nesius. Reuters)
publié le 13 juin 2016 à 12h53

Pendant plusieurs heures dimanche, abasourdis, effondrés, un peu effrayés aussi, les responsables du Parliament House, un club gay d’Orlando, ont hésité à ouvrir leurs portes. Finalement, en hommage aux victimes de

ils ont décidé que la vie devait continuer. L’emporter.

«Si Parliament House ferme, alors ils ont gagné. Nous ne laisserons pas la haine et les pertes infligées à notre communauté gagner, jamais»

, a publié le club sur sa page Facebook. Dès dimanche soir, des centaines d’habitants de la ville, pour la plupart membres de la communauté LGBT, se sont retrouvés sur place. Pour partager leur tristesse, leur douleur. Pleurer. S’enlacer. Se réconforter. Mais aussi boire un verre et danser. A l’extérieur du complexe, qui abrite notamment un motel, un bar et un théâtre, un panneau géant résume l’état d’esprit ambiant :

«Pulse unbreakable»

(Pulse incassable). Plusieurs voitures de police, gyrophares allumés, montent tout de même la garde devant le bâtiment.

«J’avais beaucoup d’amis à l’intérieur»

«Quelques minutes après le début de la fusillade, nous avons commencé à recevoir des appels de nos amis qui étaient au Pulse, raconte Yvonne Hernandez, employée au Parliament House depuis onze ans. On entendait les coups de feu, les cris. J'avais beaucoup d'amis à l'intérieur. Certains sont blessés, d'autres ne répondent plus au téléphone. Je sais ce que cela veut dire». Pour la première fois de sa vie, Yvonne dit sentir la peur. «Je redoute que cela donne des idées à d'autres fous», confie la jeune femme brune aux multiples tatouages. Quelques mètres plus loin, Bill Taylor, 47 ans, se dit «profondément triste». Cet ingénieur informatique qui vit à Kissimmee, à une quinzaine de kilomètres au sud d'Orlando, a perdu deux amis dans la fusillade. «C'est pour ça que je suis ici, pour chercher du réconfort», confie-t-il.

Un peu plus tôt dans la soirée de dimanche, plusieurs veillées et cérémonies ont été organisées à travers la ville, malgré les appels des autorités à limiter les rassemblements par mesure de précaution. A l'intérieur de la Joy Metropolitan Church, des rideaux aux couleurs du drapeau arc-en-ciel avaient été disposés derrière le podium, où se sont succédé les orateurs. Parmi eux, Orlando, l'un des rescapés du Pulse, porte encore son bracelet de l'hôpital, dont il est sorti quelques heures auparavant. D'une voix faible, entrecoupée de sanglots, l'homme de 51 ans raconte son calvaire à l'intérieur de la discothèque. «A chaque fois que j'entendais un coup de feu, je pensais que c'était un ami qui mourait. Je suis resté caché dans les toilettes pendant trois heures, je faisais le mort. Ce club, c'était un endroit de joie. Je connaissais tout le monde», raconte-t-il.

«J’ai 61 ans, je me suis senti détesté toute ma vie»

Dans la salle pleine à craquer, l'assistance est bouleversée. Des boîtes de mouchoirs ont été disposées par terre, tous les deux ou trois sièges. Au cours de la cérémonie, la chorale gay de la ville a interprété plusieurs titres, dont True Colors, chanson de Cyndi Lauper devenue un des hymnes de la communauté homosexuelle. Steven Haas est l'un des chanteurs : «Notre communauté gay a toujours été prise pour cible. Ce qui me surprend, c'est qu'un tel drame ne soit pas arrivé plus tôt. J'ai 61 ans, je me suis senti détesté toute ma vie. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Il y a toujours des politiciens au sein du Parti républicain qui tiennent des propos haineux sur notre communauté au quotidien. Laissez-nous aimer librement.»

Pour les familles des victimes, dont beaucoup attendent désespérément des nouvelles de leurs proches, l'incertitude est insupportable. A l'intérieur de l'hôpital central d'Orlando, interdit à la presse, les équipes soignantes communiquent au compte-gouttes l'identité des blessés, parfois gravement touchés, lorsqu'ils ont été identifiés. «Les gens hurlent, pleurent, crient parce que le nom de leur proche n'est pas sur la liste», raconte Sarah, sans nouvelles de son frère Jimmy. «Deux de ses amis qui étaient avec lui disent l'avoir vu se faire tirer dessus», ajoute-t-elle dans un sanglot. Devant l'hôpital, l'imam Azhar est venu réconforter les familles et transmettre un message d'espoir et de tolérance. «C'est notre communauté, nous sommes Floridiens, nous sommes Américains, tranche le religieux. Nous essayons de faire de notre mieux pour s'assurer que la paix et la stabilité perdurent dans ce pays, et que les gens avec une idéologie ignorante ne réussissent pas à répandre la haine et la violence. Nous ne laisserons pas une personne nous diviser.»