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Libération
Récit

Orlando, l’onde de choc

Massacre à Orlandodossier
Depuis la tuerie dans un club gay à Orlando, revendiquée par l’Etat islamique, le monde LGBT exprime son effroi et sa tristesse. Mais aussi sa colère face à ce «crime de haine» qui ravive les discriminations dont la communauté souffre au quotidien.
Sara et Leslie lors d’une marche de commémoration à Boulder (Colorado), lundi. (Photo Autumn Parry. Daily Camera. AP)
publié le 13 juin 2016 à 18h51
(mis à jour le 13 juin 2016 à 19h05)

Une pluie d’arcs-en-ciel s’est abattue sur la planète. Presque un déluge. Aux lendemains de la tuerie dans une boîte gay d’Orlando qui a fait 49 morts, le drapeau LGBT s’est affiché sur Twitter, sur Facebook, sur Instagram. Jusqu’en haut de la tour Eiffel. Jusqu’en Corée du Sud lors de l’un des multiples rassemblements spontanés qui ont essaimé.

Dans le monde entier, c'est ainsi que se sont exprimés effroi et solidarité. Les hashtags #loveislove, #lovewins et #prayforOrlando ont très vite mobilisé anonymes, politiques et célébrités. Hétéros ou homos. «Gay ou hétéro, pas de haine», a lancé Madonna sur Instagram (avec une photo d'elle roulant une pelle à Britney Spears). «Je rêve à un monde qui réfléchisse à ce que l'on peut faire pour surmonter cette violence», a posté la chanteuse Lady Gaga, engagée dans la cause homosexuelle. Caitlyn Jenner, née William Bruce Jenner, l'ancien beau père de Kim Kardashian, a envoyé, «le cœur brisé», «toutes ses pensées à ses frères et sœurs d'Orlando». Quant au chanteur portoricain Ricky Martin, il a tenu à affirmer : «Je suis gay et je n'ai pas peur.»

Comme après les attentats qui ont visé Paris ou Bruxelles, c’est bien un drapeau qui a été repris pour exprimer la douleur. Sauf que cette fois, ce ne sont pas les couleurs d’un pays qui sont brandies, mais celles d’une communauté (parfois qualifiée de lobby par ses détracteurs). Certes américaine, mais aussi internationale. Une communauté qui a été soudée par la lutte contre le sida dans les années 80. Et qui, bien que dispersée, enchaîne rituellement autour du mois de juin des marches des fiertés (et de l’égalité), depuis les émeutes de Stonewall aux Etats-Unis en 1969.

«Terrible rappel». Les représentants des gays n'hésitent pas un seul instant sur le caractère homophobe de la tuerie d'Orlando. Pour l'association internationale des gays et lesbiennes (Ilga), aucun doute possible sur la cible visée : «C'est un terrible rappel du prix payé par la communauté lesbienne-gay-bi-trans-queer à travers le monde simplement pour ce qu'ils sont.» Et de souligner le côté d'autant plus douloureux de «ce crime de haine» qu'il survient en pleine période de célébration. Stuart Milk, neveu de l'activiste américain pour les droits homosexuels Harvey Milk (assassiné en 1978) et président de la fondation à son nom, met également l'accent sur l'homophobie et la haine sous-jacente à la tuerie de dimanche. «Nous envoyons des torrents d'amour à tous ceux qui souffrent […]. La haine et la séparation continuent d'être la source de trop de chagrins et de vies volées à travers le monde.» Pour mémoire, l'homosexualité est toujours illégale dans plus de 80 pays, voire passible de la peine de mort dans certains d'entre eux, comme l'Iran, le Soudan ou le Yémen.

«Histoire commune». En France, pays qui a tant peiné à adopter sa loi ouvrant le mariage à tous trente ans après avoir dépénalisé l'homosexualité, le choc d'Orlando s'est violemment répercuté. «On se sent tous attaqués, il y a une histoire commune, affirme Christophe Martet, un temps président d'Act Up et aujourd'hui directeur du site d'information LGBT Yagg. Ce n'est pas que l'on s'y attendait, mais on le redoutait. Souvenez-vous, à Paris, peu après les attentats de novembre, dans le quartier du Marais, il y a eu des pétards qui ont explosé, et on a tous cru à un nouvel attentat.»

«C'est la première fois que nous sommes attaqués en tant que communauté, de cette manière», enchaîne Amandine Miguel, porte-parole de l'Interassociative lesbienne, gay, bi et transsexuelle (Inter-LGBT), qui réunit 60 associations. «Hier, c'était le droit à l'expression qui était visé, là, c'est le droit de vivre comme on veut», reprend Christophe Martet. «Cela devait arriver, et c'est arrivé, je ne voyais pas comment la communauté pouvait passer à travers», poursuit Michel Bourrelly, ancien dirigeant de l'association Aides, et qui s'occupe depuis des années de la discrimination subie par les gays à travers le monde. Partout, l'inquiétude est palpable. Matthieu Gatipon-Bachette, porte-parole de la fédération Total Respect et président du centre LGBT de Metz, raconte : «J'ai eu des témoignages sur le mode "pourquoi on nous fait ça ? Pourquoi on vient nous attaquer dans nos lieux ?" Le Pulse,c'est une boîte emblématique engagée dans le militantisme. Elle n'a pas été ciblée pour rien.»

Pourtant, certains hommes politiques et médias occultent l'homophobie évidente. Et évitent d'utiliser ce mot. C'est le cas de Donald Trump qui, sur Twitter, s'est déchaîné sur le problème du terrorisme (lire page 9). En France, François Fillon, Alain Juppé et d'autres candidats à la primaire à droite se sont abstenus d'évoquer la sexualité des victimes. Cette façon de faire du straight-washing (évacuer la sexualité) a, elle aussi, suscité de l'indignation. Cela serait, selon Ian Brossat, adjoint communiste à la maire de Paris, le signe que «le combat contre l'homophobie est loin d'être gagné». Quant à François Hollande, sans doute soucieux d'appeler un chat un chat après cet échauffement sur le straight-washing, il a d'abord évoqué «la liberté de choisir son orientation sexuelle et son mode de vie». Moqué pour sa maladresse (non, on ne choisit pas d'être gay), ce tweet est devenu : «La liberté de vivre son orientation sexuelle et de choisir son mode de vie.» Bel effort.