Le monde en compte un peu plus d'une centaine de ces oracles qui, quand ils évoquent la situation financière du monde, sont très écoutés. Parmi eux, il y a les cracks du retour sur investissement financier, comme George Soros, Warren Buffet ou encore William Gross. Ce dernier, une des plus grosses fortunes américaines, vient de tirer la sonnette d'alarme sur la formation d'une bulle obligataire. Le fondateur du fonds obligataire Pimco, désormais patron du fonds Janus Capital, a souligné avec inquiétude que les taux d'intérêt mondiaux étaient tombés «au plus bas depuis cinq cents ans d'historique connu». Pour lui, le marché mondial des obligations est comparable à une «supernova qui explosera un jour».
Planche à billets. De fait, alimenté par les politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales qui font tourner la planche à billets, les taux d'intérêt mondiaux n'ont cessé de chuter depuis la crise financière de 2008. Pour Gross, comme pour beaucoup d'autres, ces politiques ont trop duré. Conséquence : les cours des obligations (qui évoluent en sens inverse des taux) se hissent à des niveaux historiquement élevés, entraînant en terrain négatif les rendements de très nombreuses obligations souveraines. Ainsi, le taux d'emprunt à dix ans de l'Allemagne, le «Bund», référence sur le marché de la dette des Etats, a franchi mardi un cap symbolique en devenant négatif pour la première fois de son histoire.
Reprenons : depuis 2008, les banquiers centraux - Janet Yellen (Etats-Unis), Mario Draghi (Banque centrale européenne), Mark Carney (Banque d’Angleterre) ou encore Haruhiko Kuroda (Banque du Japon)… - ont laissé grandes ouvertes les vannes de la liquidité monétaire, déçus de ne pas voir repartir le crédit, et donc la croissance. Il s’agit pour eux de faire coup double en rachetant à tour de bras des obligations souveraines tout en faisant redescendre le niveau des taux d’intérêt. Dans un premier temps, ça marche. Partout dans la zone euro, par exemple, le désastre d’une crise des dettes souveraines est évité.
Drogue. Côté face, c'est une autre histoire : «A priori, on se dit qu'une obligation à dix ans qui rapporte un taux négatif ne trouvera pas preneur», analyse Philippe Béchade, des Econoclastes. Mais la réalité est différente. «Les banquiers centraux ne cessent de dire haut et fort qu'ils achèteront de la dette des Etats. Résultat, qu'importe si les taux d'intérêt baissent puisque le prix des obligations augmente .»
D'où la certitude pour les investisseurs de réaliser un profit en les revendant avant leur terme. «Autrement dit, la politique monétaire de la banque centrale est devenue une véritable drogue des marchés financiers», résume Béchade.
Selon l'agence de notation Fitch Ratings, les titres à rendements négatifs ont dépassé pour la première fois le montant de 10 000 milliards de dollars (8 919 milliards d'euros) dans le monde en mai. Le réveil pourrait être brutal. «Lorsque les investisseurs prendront peur, ce sera le début de la panique, dit le patron de la recherche économique de la banque Natixis, Patrick Artus. Et lorsque la bulle obligataire explosera, elle décimera les assureurs et les emprunteurs. D'un seul coup, les premiers auront dans leur portefeuille des obligations achetées hier, mais qui ne rapporteront plus rien comparées à celles dont les taux d'intérêt augmenteront en flèche du fait de l'éclatement de la bulle obligataire.» Quant aux seconds, «endettés à taux variables, ils verront s'envoler le montant de leur remboursement immobilier. Ce n'est pas le cas du marché immobilier français, mais de la plupart des marchés étrangers…»