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La «marche sur Rome» de Virginia Raggi

La candidate populiste du Mouvement Cinq Etoiles vient d'être triomphalement élue maire de Rome.
Virginia Raggi du mouvement Cinq Etoiles, à Rome le 3 juin 2016 (Photo Filippo MONTEFORTE. AFP)
par Eric Jozsef, Rome, de notre correspondant
publié le 15 juin 2016 à 18h31

Barbu et vulgaire, blagueur et menaçant. L'humoriste Beppe Grillo était l'âme et la vitrine du Mouvement Cinq Etoiles (M5S), qu'il a créé en 2009. Mais à partir de dimanche, le parti pourrait avoir comme principale figure médiatique une jeune femme brune, élégante, au profil lisse et sans excès verbaux. Avec 35 % des voix obtenues au premier tour de l'élection municipale à Rome, le 5 juin, Virginia Raggi est prête à s'installer au palais du Capitole. «Le vent tourne. Les citoyens sont impatients de passer à autre chose», assure cette avocate de 37 ans. Les sondages lui prédisent la victoire face au démocrate Roberto Giachetti, arrivé 10 points derrière elle.

Petite et frêle, mais déterminée, celle qui affirme n'avoir «jamais fait de politique» avant d'être traînée par son mari dans un meeting du M5S, en 2011, pourrait ainsi devenir la première femme maire de Rome, et l'emblème de la progression du mouvement. A l'issue du premier tour, le président du Conseil, le démocrate Matteo Renzi, a tenté de minimiser le succès de ce parti antisystème : «Il est arrivé en ballottage dans seulement 20 villes sur les 1 300 concernées par le vote.» Problème : l'une d'entre elles est la capitale du pays, avec ses 3 millions d'habitants, un effet garanti sur le plan politique et symbolique.

Gabegie. Entre les deux tours, Virginia Raggi a surtout veillé à gérer son avance, répétant que ses priorités sont «la mobilité et l'entretien de la ville, la gestion des déchets, la transparence et l'arrêt du gaspillage». En campagne dans les rues, la candidate Cinq Etoiles, constamment entourée d'une garde rapprochée de jeunes collaborateurs - qui donnent l'impression de la contrôler autant qu'ils la protègent -, prend des bains de foule et des selfies, portée par des habitants excédés par les années de gabegie et de corruption des administrations précédentes, de droite comme de gauche. «Virginia, mets-les dehors !» hurle une retraitée à son passage via Tuscolana, un quartier qui autrefois votait communiste. Virginia Raggi sourit, et poursuit sa «marche sur Rome», qu'elle a souvent effectuée le sac en bandoulière et le stylo à la main, comme pour prendre note des doléances des citoyens. En promettant «honnêteté» et «transparence» dans une ville endettée à hauteur de 12 milliards d'euros, elle n'a pas à forcer son talent. Ses propositions les plus originales - voire fantaisistes, comme la promotion des couches-culottes lavables pour favoriser l'économie du recyclage - sont ainsi passées au second plan. Seul véritable angle d'attaque pour ses adversaires : la décision de suspendre la candidature de Rome pour les Jeux olympiques de 2024. Pour elle, «les citoyens ont d'autres priorités», alors que son adversaire démocrate Roberto Giachetti parle d'une opportunité économique et de création d'emplois.

Issue d'une famille de la moyenne bourgeoisie romaine, Virginia Raggi, qui a fait ses premières armes dans un cabinet d'avocats défendant le très sulfureux Cesare Previti (ancien collaborateur et ministre de Berlusconi), parvient à grignoter sur tout l'échiquier politique. Et notamment auprès des classes populaires. A Rome, au premier tour, le M5S est arrivé en tête dans tous les quartiers, à l'exception de celui du centre historique et à Parioli, qui ressemble au XVIe arrondissement de Paris.

«Virginia Raggi a flirté avec la gauche en proposant de renégocier la dette de la ville avec les banques, souligne Jacopo Iacoboni, journaliste politique au quotidien La Stampa. Mais elle a des munitions pour l'électorat de droite. Au cours d'une interview radio, elle a par exemple déclaré : "Oui, il est possible de dire aux Roms qu'ils doivent se mettre à bosser."» Et si elle a proposé de soumettre les nombreux biens de l'Eglise à l'impôt foncier, elle s'est empressée de préciser qu'elle était catholique et farouchement opposée à la gestation pour autrui. Bref, Raggi ratisse large.

Institutionnalisation. En trois ans, le M5S est passé de mouvement de protestation à force de gouvernement. Et Virginia Raggi, appliquée dans les débats télévisés, en est aujourd'hui l'incarnation, au côté de la candidate Cinq Etoiles à Turin, Chiara Appendino. «Ce sont deux jeunes femmes compétentes, diplômées, normales. Ne seriez-vous pas tenté pas de leur faire confiance ?» s'est interrogée une éditorialiste du quotidien progressiste La Repubblica.

L'institutionnalisation du M5S inquiète toutefois certains militants de la première heure : «Le mouvement a subi une mutation génétique, déplore l'universitaire Paolo Becchi, considéré comme l'un des idéologues du M5S avant de le quitter l'an passé. Les batailles pour la démocratie directe ou la sortie de l'euro ont été abandonnées. Il ne reste plus que la dénonciation de la caste politique. La télé était autrefois interdite aux "grillini" [les partisans de Beppe Grillo, ndlr], désormais, ils se précipitent dans les talk-shows et négocient en douce avec l'establishment. Grillo s'est mis en retrait et un directoire a été formé. Celui-ci agit comme une sorte de société secrète, qui ôte toute autonomie aux candidats.» La probable future maire de Rome a confirmé avoir signé un «code éthique» l'engageant à démissionner si la direction du M5S le lui demandait.