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Analyse

Scénario grec, allemand ou portugais ?

Les législatives pourraient bien achever le Parti socialiste espagnol qui, pour survivre, devrait être contraint de gouverner avec l’un de ses rivaux, la gauche radicale ou la droite.
A Ronda (Andalousie), le 10 juin. (Photo Jorge Guerrero. AFP)
publié le 16 juin 2016 à 20h37

Au siège national, rue Ferraz à Madrid, c'est la panique à bord. Sur ce bateau ivre qu'est le Parti socialiste espagnol (PSOE), les dirigeants s'arrachent les cheveux pour tenter d'éviter ce que beaucoup voient comme une fatalité : leur «pasokización», soit la décomposition du parti, à l'instar du Pasok, l'alter ego grec. Six mois après des législatives qui n'ont pas permis de dégager une majorité parlementaire, les Espagnols retournent aux urnes, et les socialistes tremblent : en décembre, ils n'avaient recueilli que 22 % des suffrages et 90 sièges (le pire score de leur histoire). Selon les derniers sondages, la saignée devrait se poursuivre le 26 juin, jusqu'à se voir battre de cinq points par la coalition de la gauche radicale, Unidos Podemos (lire ci-dessus).

«Système»

Une perspective terrifiante pour cette formation centenaire qui, depuis la fin de la dictature franquiste, a exercé un pouvoir hégémonique - avec les conservateurs du Parti populaire (PP) - tant à l'échelon national que dans la plupart des régions. Lors d'un récent meeting à Jerez, un bastion andalou, le chef de file du PSOE, Pedro Sánchez, a tenté de rassurer ses troupes : «Ne croyez pas les diseurs de mauvaise aventure, nous allons rebondir ! Les Espagnols savent que seul un leadership socialiste peut permettre à l'Espagne de sortir de l'austérité et de la corruption [allusion au PP, ndlr], ainsi que du piège des promesses populistes [allusion à Podemos].»

Pourtant, même à l'intérieur des instances dirigeantes, on craint le pire : «La vérité, c'est que le parti est en crise profonde, admet un de ses responsables. Comme tous les partis sociaux-démocrates en Europe, on est de moins en moins lisibles. Le désarroi des gens, les inégalités records en Espagne, le fait que beaucoup nous voient comme un parti du système, avec tous les travers que cela suppose, tout cela nous affaiblit.» Sans compter le flou des positions concernant le très sensible défi indépendantiste en Catalogne : un jour les socialistes se montrent intransigeants, le lendemain ils acceptent l'idée d'un référendum. La semaine dernière, énième revirement du parti lorsque Sánchez propose une «solution confédérale» avec un statut particulier pour cette région rebelle… Selon les sondologues, le PSOE, qui reste la deuxième force politique du pays, est pris dans des contradictions. Il alterne un discours de «régénération démocratique», que contredisent de nombreux scandales éclaboussant des caciques, et des promesses sociales qui cadrent mal avec l'obéissance à Bruxelles. «Du vieux avec l'apparence du neuf», résume sans piété un éditorialiste d'Eldiario.es, un pure player ancré à gauche.

«Idiot utile»

Pedro Sánchez va en tout cas être confronté à un dilemme s'il se confirme que son parti est relégué au troisième rang parlementaire lors de ces législatives. Pour débloquer une situation inextricable, il lui faudra en effet choisir entre la peste et le choléra. Soit il appuie le PP de Mariano Rajoy, l'actuel chef du gouvernement - et l'ennemi juré -, pour former une coalition nationale sur le modèle allemand. Soit il accorde son soutien à Unidos Podemos, une option plus logique (et déjà vue au Portugal) mais qui reviendrait à se mettre au service de Pablo Iglesias, le leader de Podemos, détesté par tous les barons socialistes. «Sánchez est acculé à un choix cornélien, sur fond de sombre destin, résume le sociologue Enrique Gil Calvo. Ou il se conduit de façon responsable et trahit la gauche, ou alors il se transforme en idiot utile de Podemos.»