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Corruption

Yoichi Masuzoe, le gouverneur de Tokyo tombé pour ses notes de frais

La démission de cet homme politique atypique, self-made-man autrefois populaire, est un nouveau coup dur pour l'organisation des JO de 2020 dans la capitale nippone.

Yoichi Masuzoe, le gouverneur de Tokyo, a démissionné mercredi. (Photo Kazuhiro Nogi. AFP)
ParArnaud Vaulerin
correspondant au Japon
Publié le 16/06/2016 à 11h14

Les sondages l’avaient condamné depuis plusieurs semaines. Une très large majorité de Japonais souhaitaient ardemment que le gouverneur de Tokyo, Yoichi Masuzoe, démissionne. En sursis et sans soutien, l’élu de 67 ans a fini par jeter l’éponge mercredi avant que neuf partis, dont ceux qui l’avaient soutenu pour son élection en février 2014, menacent de voter une motion de défiance qui l’aurait balayé et créé un scandale dommageable avant les élections sénatoriales du 10 juillet. Depuis la fin avril, Masuzoe était sur le gril. Accusé d’avoir utilisé des fonds publics et d’avoir trop dépensé à des fins personnelles, ce gouverneur atypique de Tokyo et de ses 13,5 millions d’habitants était devenu malgré lui le héros d’un feuilleton médiatique incessant.

Masuzoe a suscité la colère de ses concitoyens après les premières révélations sur ses dépenses excessives lors de voyages d’affaires en première classe et dans des hôtels luxueux à l’étranger. Le Parti communiste japonais a ainsi révélé qu’il avait dilapidé plus de 213 millions de yens (1,8 million d’euros) depuis 2014, un montant qui dépasse largement les limites imposées par la préfecture de Tokyo, mais également les frais de l’un de ses prédécesseurs, Shintaro Ishihara, pourtant connu pour ses extravagances – notamment un voyage de quelques jours à Londres et à Paris pour 21 personnes avait été facturé 50 millions de yens pour (426 000 euros).

Puis, de nouvelles informations ont permis de découvrir que Masuzoe avait utilisé des fonds politiques pour des voyages en famille, des achats d’œuvres d’art, des livres, des mangas et des habits pour homme et pour enfant, suscitant au passage les moqueries des journalistes. Les Tokyoïtes ont également appris qu’il utilisait les véhicules officiels de la préfecture pour se rendre très fréquemment en week-end dans sa villa de Yugawara, dans la préfecture de Kanagawa, au sud de la capitale…

«Arrogant et maladroit»

Face à la bronca, Yoichi Masuzoe a promis de s'amender, offrant ses «sincères excuses du plus profond de son cœur». Puis, il a lui-même nommé deux juristes, anciens procureurs, afin qu'ils dressent un bilan détaillé de ses comptes. Dans le rapport publié le 6 juin, les juristes ont reconnu que les sommes issues des fonds politiques avaient été utilisées de manière «inappropriée», mais «pas illégale».

En jouant le jeu de la transparence, mais en répondant très évasivement aux questions des élus de Tokyo et à ses concitoyens, Masuzoe n'a pas levé tous les doutes quant à sa conduite. «Il a expliqué que ce n'était pas un problème et s'est montré à la fois arrogant et maladroit dans sa défense, analyse le politologue Toru Yoshida. Il n'a pas eu de chance car ses affaires, après le G7 d'Ise et la visite de Barack Obama à Hiroshima, sont devenues le sujet principal des médias. D'une certaine manière, il a été victime d'un creux de l'actualité en l'absence de grand débat politique ou économique.»

Yoichi Masuzoe avait été élu en février 2014 pour succéder à l’écrivain Naoki Inose, qui n’était resté qu’un an à son poste, chassé lui aussi à cause d’un scandale politico-financier. Il a cherché à rester en fonction jusqu’en août, arguant du fait que provoquer une élection avant la fin des Jeux olympiques de Rio n’était pas judicieux. Tokyo, qui accueillera les JO de 2020, se doit d’être présent au Brésil. Mais l’assemblée préfectorale a rejeté l’idée et fixé les élections entre fin juillet et début août. La démission du gouverneur est une nouvelle déconvenue pour les JO de Tokyo, qui cumulent les ratés, les retards et les problèmes depuis plusieurs mois.

«A part dans le paysage national»

Masuzoe restera en fonction jusqu'au 21 juin et quittera probablement une vie politique commencée il y a une vingtaine d'années. En 1999, Masuzoe s'était présenté au poste de gouverneur de Tokyo. Il était alors un ovni dans le milieu politique. Issu d'une famille modeste du sud du pays, Yoichi Masuzoe a été élevé par sa mère. Diplômé en sciences politiques, droit et histoire à l'université de Tokyo, Masuzoe a également étudié à Paris et à Genève dans les années 70. «Polyglotte, francophile et anglophile, il a écrit une thèse sur la  VRépublique française», poursuit le politologue Toru Yoshida, qui campe le futur ex-gouverneur comme un fin connaisseur de la politique hexagonale. C'est d'ailleurs en France qu'il a rencontré sa première femme. Divorcé, il s'est remarié à deux reprises. Il est aujourd'hui le père de cinq enfants.

Il a intégré en tant que professeur la prestigieuse université de Tokyo en 1979. Dix ans plus tard, il quitte ses fonctions pour créer son propre institut de recherche en économie politique et en relations internationales. «Il est vite devenu un expert médiatisé, habitué des plateaux télé. Il a une image de self-made-man très différent des hommes politiques traditionnels japonais, souvent issus de dynasties locales et électorales, note Toru Yoshida. C'est un homme de caractère, intelligent, travailleur et aussi arrogant. Finalement, il est à part dans le paysage national et il lui a peut-être manqué des soutiens ces dernières semaines.» Sénateur entre 2001 et 2013, Yoichi Masuzoe avait intégré le Parti libéral démocrate (PLD) en 2001. Il l'a quitté en 2010 pour former le Parti de la nouvelle résistance. Il est alors très populaire et pressenti comme un probable Premier ministre. Mais l'ex-gouverneur de Tokyo a été rattrapé par ses erreurs et son train de vie, qui ont compromis sa carrière politique atypique.